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Bernard Laux

Guitare planète N° 12 octobre-novembre 1996

la mort d'un très cher ami Marcel Dadi, la nuit du Mercredi 17 au Jeudi 18 Juillet 96 m'a amené à écrire ces quelques lignes en sa mémoire.

Marcel Dadi était un homme très chaleureux, dévoué, positif et très travailleur. Il était un ami généreux et fidèle. J'ai connu Marcel depuis 1964. Nous étions voisins à l'époque et nous étions très proches l'un de l'autre de 64 à 68, jusqu'à mon départ de France. A partir de ce moment-là. j'ai commencé a m'intéresser de plus en plus au jazz, et donc souhaiter une éducation musicale non-classique, ce qui ma amené à entrer à l'école "Berklee College 0f Music" en 1969. Même si nous étions physiquement loin l'un de l'autre à ce moment-là, notre amitié a duré pendant 32 ans. Je n'ai jamais manqué de venir voir Marcel chaque fois que je suis passé à Paris où nous parlions du bon vieux temps. Pendant toute cette période initiale, nous apprenions constamment l'un de l'autre nous révélant ainsi des secrets de guitare comme le font tous les teen-agers. Des détails sur le Finger picking ne se trouvaient alors qu'en Amérique à cette époque. Je me souviens encore de la joie de Marcel (et de la mienne) chaque fois que nous arrivions à déceler un détail permettant de jouer un nouveau morceau de finger picking. Nous avions comme l'impression d'avoir fait une très grande découverte. Aujourd'hui, je sais que ce n'était qu'un tout petit commencement à ce que Marcel accomplirai plus tard. Je garderai toujours le souvenir de cette incroyable impression partagée avec Marcel. Je suis certain que tout guitariste honnête et sincère reconnaîtra ce sentiment. Notre ami commun Bernard Photzer m'avait introduit à la musique de Chet Atkins, Merle Travis et Doc Watson, et très peu de temps après, à Marcel.

Mais Marcel était un apprenti beaucoup plus rapide que je ne l'ai jamais été. Il travaillait avec talent et d'une façon beaucoup plus motivée que la mienne. Il absorbait littéralement le style à une rapidité incroyable. Et l'impression que nous avions était tellement fantastique on pouvait jouer tout seul basse, mélodie et contrepoint. La première fois que je me suis vraiment rendu compte de sa rapidité d'apprendre, c'était à l'époque où il avait acheté sa Gibson G50. C'était sûrement aux alentours de 1966. Comme nous étions voisins, nous nous rendions très souvent visite. Je suis venu le voir un soir... Autour de la table du salon, il a fièrement pris sa Gibson G50 et m'a dit "Regardes, Bernard, je crois avoir trouvé comment on joue Lullaby 0f Birdland. Je n'en croyais pas mes yeux Marcel jouait déjà une ligne de basse complètement indépendante en même temps qu'il jouait la mélodie de cette magnifique version de Chet Atkins.

Quand je l'ai entendu interpréter ce morceau ce soir-là, j'ai eu le pressentiment que Marcel deviendrai un des très grands guitaristes de notre temps à jouer ce style. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'ai livré à Marcel tout ce sur quoi j'avais travaillé à l'époque en quittant la France: disques, tablatures de morceaux que j'avais appris du banjo et guitariste Terry Smith, et même des noms et des adresses dont il pourrait avoir besoin comme le Centre Américain boulevard Raspail à Paris, où j'avais déjà joué dans un Hootenanny en 67 et début 68 avec le même Terry. Nous avions l'habitude de commencer avec la version de Terry du morceau 'Eoggv Mountain Breakdown', une mélodie qui est devenue populaire avec le film 'Bonny And Clyde' qui venait de sortir à Paris. C'est réconfortant de savoir que Marcel a révélé son incroyable capacité de finger picking en 69-70 au Hootenanny du Centre Américain.

Etant moi-même loin, je n'ai pas pu être témoin de ce moment. Mais Marcel m'en a évidemment parlé quand je suis venu le voir en 1971. Je me souviendrai toujours de son regard glorieux quand il m'a dit : "Bernard, tu aurais dû être ici, tu ne peux pas t'imaginer la réaction quand la basse martelante de Nine Pound Hammer" a résonné dans la salle...

Plusieurs musiciens folk s'étaient déjà produits au Hootenannv du Centre Américain en utilisant une technique finger picking avant ce jour-là mais personne n'était jamais venu avec ce genre de son ( acoustique/électrique je pense) et une telle technique. C'est toute la force de Marcel de l'avoir accompli et tout son mérite d'avoir atteint cette nouvelle frontière. Mais je savais que Marcel Dadi ne s'arrêterait pas là. L'histoire m'a montré qu'il en fût de la sorte...

Je n'oublierai jamais l'enthousiasme qui l'entourait chaque fois que je passais le voir à Paris. Il a dévoué toute sa carrière au finger picking et, en fait, il a réussi à maîtriser le style de plusieurs guitaristes comme Chet Atkins, Merle Travis et Doc Watson. Il a développé le style même plus loin en créant une quantité impressionnante de compositions. Il a réalisé tout ce que je rêvais jadis de maîtriser et il l'a accompli d'une manière toujours respectueuse, chaleureusement enthousiaste et joviale. Outre son énorme travail, sa force était persévérance et conscience d'atteindre son but, chose qu'il a réalisé avec une perfection stupéfiante. Constamment concerné par son public et afin de lui offrir la possibilité de partager la passion qui lui était si chère, il a publié une quantité énorme de disques et de méthodes de guitare, rapidement devenus très populaires en France et dans le monde entier. Il a aussi publié beaucoup de livres et d'ouvrages d'étude de la guitare. Aujourd'hui, de nombreux musiciens doivent leur connaissance de l'instrument à la main de Marcel et à sa production. Il ne s'est jamais arrêté de s'améliorer, apprenant constamment de sources nouvelles, et il a même commencé à établir des liens entre elles: Les qualités humaines de Marcel étaient telles qu'il adorait rassembler des musiciens, un peu comme une grande famille. De nombreux musiciens ont participé à ses Jam-sessions qui reflètent tout l'esprit de Marcel et son amour pour les évènements musicaux. De nombreux musiciens ont participé à d'innombrables festivals organisés par Marcel. Au fil des années, Marcel a encouragé et aidé beaucoup d'entre nous dans le monde entier, et je suis convaincu que cela était dû à son désir de vouloir partager sa passion avec nous. Son génie musical, son amour du monde de la musique, son aimable fraternité envers tant de musiciens et tant de personnes en général, toutes ces qualités ont amené Marcel à ce qu'il est devenu. Il était autodidacte et à ma connaissance, il n'a jamais eu d'éducation musicale formelle. Il écoutait et observait, en se créant toujours ses propres leçons. Nombreux sont ceux qui ont entouré Marcel au long de sa carrière.

Habitant loin, je ne le voyais qu'un après-midi par an, et je ne connaissais donc pas toutes ces personnes l'entourant. Je ne peux parler que de ces années initiales, cette partie de sa vie qui coïncide avec la mienne. Aujourd'hui, je considère comme un honneur et un privilège le fait d'avoir partagé ces quelques années avec lui. Tout comme Marcel l'a toujours été, je suis aussi très reconnaissant envers Chet Atkins, Merle Travis, Doc Watson et aussi envers tous ceux que Marcel a rencontrés sur le chemin de l'excellent guitariste qu'il était. Je suis également très reconnaissant envers Bernard Photzer pour nous avoir initié et nous avoir révélé cette musique. La guitare de Marcel parlera dorénavant pour elle-même et pour lui, ce qui de cette façon le fera toujours revenir parmi nous. On ne peut aboutir à une telle dextérité guitaristique qu'avec dévouement, persévérance, un amour du travail, la pratique de l'instrument, et naturellement beaucoup de talent. Un de mes professeurs de guitare Bill Leavitt, avait l'habitude de dire "Jouer, c'est 90% de travail et 10% de talent". Avec Marcel, c'était 100 % des deux, 100% d'honnêteté envers soi-même et 100 % d'énergie positive. A 44 ans, Marcel Dadi venait d'être placé dans l'Allée des Stars, "The Walkway 0f Stars", au Country Hall 0f Fame, musée de Nashville. Un honneur qui n'avait jamais été décerné à un étranger. Son nom demeurera désormais aux côtés de ses maîtres bien-aimés, Chet Atkins et Merle Travis.

La musique est tolérante et n'a pas de frontière. La musique que Marcel chérissait lui était parvenue des USA. Mais Marcel est toujours resté fidèle aux sources qui lui étaient chères. Sa sagesse et son sens de l'humour n'ont jamais failli. C'est dans le même état d'esprit que je rappellerai le souvenir de ses éclats de rire. C'est en état de choc et de peine que j'ai écrit ces quelques lignes. Beaucoup plus sera dit du bon caractère de Marcel et je sais que plus encore sera écrit sur sa splendide carrière. Par ces mots, mon seul but a été de rendre à Marcel l'hommage qu'il méritait d'un ami. Marcel était un homme de qualité, un ami qui m'était cher et qui me manquera énormément. Je garderai le souvenir d'avoir été proche de lui. En le perdant, j'ai le même sentiment que lors de la mort de mon père il y a 30 ans. Sentiment de ne pas avoir passé assez de temps avec lui, de ne pas lui avoir donné assez de moi-même de son vivant. Désormais, j'écouterai toujours son héritage avec respect.

Mes pensées et mes condoléances les plus profondes vont vers son épouse, ses trois enfants et sa famille avec qui je partage la peine de sa mort. Que Dieu soit avec lui.

Bernard Laux