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Biographie

Extrait de Guitarist magazine - N°83 - septembre 1996"
Avec l'aimable autorisation d'Olivier Garcia.

Marcel Dadi 1951-1996.

Albert Lee, Eric Clapton et Marcel Dadi se rencontrent. Ils parlent évidemment guitare.
Albert Lee: «Je suis le meilleur guitariste de Grande Bretagne.»
Eric Clapton: «T'es sûr ? Dieu m'a confié que j'étais le plus grand sur terre.»
Marcel Dadi: «Moi, j'ai dit ça ?».

Et Marcel après avoir malicieusement livré cette histoire s'esclaffait d'un air narquois, raconte Pat Vrolant, l'un de ceux qui l'ont côtoyé dans la musique depuis longtemps. Un Dadi à l'humour aussi prompt qu'une carrière légendaire que tous les guitaristes et amateurs de guitare connaissent, ou croient connaître, sans toujours bien mesurer l'ampleur de son parcours. Etre le premier non américain à accéder au "Walkway of Stars du Country Hall of Fame" de Nashville en aura été l'un des derniers témoignages avant ce p... de vol TWA.

Mais revenons au commencement.

Les Bernards Le 20 août 1951 naît en Tunisie Marcel Dadi, de son vrai nom comme on le lui demandait parfois. L'époque est agitée et l'indépendance des jeunes nations du Maghreb conduit la famille de Marcel en France. "J'y ai commencé la guitare vers 9 ans, parce qu'un de mes frères en jouait... et peut-être par esprit de compétition" nous avait-il dit. "C'était l'époque des Shadows et, disposant d'une guitare à cordes métal, je me suis retrouvé soliste dans de petits groupes. Et puis sont arrivés les Beatles, les Stones, les Kinks..." Une période dont se souvient Bernard Laux, guitariste français aujourd'hui au Danemark: "Nous étions très proches l'un de l'autre de 1964 à 1968, année où j'ai quitté la France.J'ai même joué avec lui dans un des groupes de rock de ses tous débuts. Il s'était acheté une Gibson stéréo comme celle de B.B. King. Une 345 et un ampli Bandmaster pour avoir le son de Clapton " précisait Marcel. "J'étais devenu le soliste qui pouvait dépanner un groupe parce que je connaissais le répertoire par coeur". Déjà bosseur mais encore rocker.

"La vague folk a déferlé alors sur la France, Bob Dylan, Donovan, Pete Seeger...Le premier groupe...Dadi  - ??? - Assouline - Levy et Hugues Auffray dont le guitariste Bernard Photzer habitait juste à côté de chez nous" poursuit Bernard Laux. Bernard Photzer, d'abord passionné par la musique des Ventures, s'est mis au style Nashville, initié par un autre guitariste, Robert Gretsch. Il fait découvrir aux deux jeunes apprentis leurs premiers albums de Chet Atkins, Merle Travis et Doc Watson qu'il se procurait en tournée.

Gabriel yacoub Marcel est immédiatement fasciné: "Comme mes parents, après de mauvais résultats scolaires, m'avaient mis en demeure de revendre les guitares électriques, d'arrêter tout et de ne jouer à la maison qu'après les devoirs... j'ai commencé à faire de réels progrès en picking". "Chaque nouveau détail qui nous permettait d'avancer dans la technique consistant à jouer la basse et la mélodie en même temps nous paraissait une découverte gigantesque", dit Bernard Laux. "Je me souviens encore du soir où Marcel m'a joué la version de Chet Atkins de Lullaby of Birdland sur sa Gibson J 55". Ses yeux brillaient de joie. J'étais stupéfait de sa rapidité à maîtriser cette ligne de basse complètement indépendante de la très belle mélodie». Bernard Photzer: "Loin de se contenter de reproduire ce qu'il entendait, comme la plupart des autres, il essayait de comprendre, de rationaliser le système du picking. On se voyait régulièrement quand je rentrais de tournée, en rêvant de voir Chet Atkins simplement à la télé. A chaque fois, il me sidérait. En trois, quatre ans, il a tout maîtrisé». De son côté, Bernard Laux évolue du country vers le folk de DocWatson. (J'ai rencontré Roger Mason, j 'ai joué avec le guitariste et banjoiste Terry Smith au Centre Américain. Un jour Terry m'a montré le système des tablatures, utilisé depuis longtemps pour le banjo. Puis j'ai été attiré vers le jazz et j'ai voulu l'étudier à Berklee. Avant de partir, j'ai été dire au revoir à Marcel et je lui ai donné tout ce dont je n'avais plus besoin puisque j'allais le trouver aux Etats Unis, disques, tablatures, adresse du Centre Américain... C'est à partir de là, fin 1968 que Marcel a commencé son ascension fabuleuse.

En route pour la gloire

Phillipe KoechlinMarcel est apparu pour la première fois dans un Hottenanny pendant la saison 69/70" se souvient Lionel Rocheman, le guitariste-chanteur qui organisait au Centre Américain ces soirées dont la première partie se composait d'amateurs livrés sur scène à l'approbation ou aux sifflets du public. Avec le TMS, le Centre Américain était un des hauts lieux du folk parisien. Lionel Rocheman: «Steve Waring, Roger Mason, Alan Stivell, Joe Dassin et beaucoup d'autres s'y produisaient. Le soir où Marcel a joué, les gens n'ont rien compris. Ils sont resté sur le cul, ils connaissaient pourtant déjà le picking, mais pas ce style. Il avait d'abord joué en flat picking avec un autre guitariste, mais le public en redemandait. Ils n'avaient répété que deux morceaux, Marcel s'est lancé tout seul. En finger picking. Cette incroyable sensation d'entendre deux instrumentistes et de n'en voir qu'un a renversé l'auditoire. C'était prodigieux". Le bluesman Alain Giroux fréquentait aussi les lieux: "J'appartenais plutôt à la branche blues-folk, comme Bill Deraime, Gabriel Yacoub ou Eric Kristy, mais on n'arrêtait pas de parler musique avec Marcel. Il m'avait confié son envie de jouer de la guitare comme un trapéziste. Triple saut arrière sans filet. Et il le faisait, il continuait son picking avec un petit sourire en tournant les clés pour s'accorder en open tout en parlant au public. Il se livrait à d'incroyables facéties techniques. C'était le prototype du guitar-héros avant l'heure, en version conviviale. On nous opposait en nous étiquetant: Dadi la technique, Giroux le feeling. En réalité, nous n'exprimions pas la même chose dans le formidable bouillonnement musical d'une époque où tout restait à découvrir.» Frederic LeibovitzEt la réputation de Marcel Dadi commence à se répandre dans le tout Paris amateur de musique. Les Hottenannies dont il devient une vedette font salle comble. La presse s'y intéresse. Jacques Vassal, le spécialiste folk du magazine Rock & Folk, alors bible incontournable d'informations, est un habitué. «C'était l'endroit où l'on venait découvrir de nouveaux artistes et Dadi en faisait partie. Le guitariste-chanteur Hervé Christiani m'avait parlé de celui qui jouait très technique, dans le style Nashville peu familier des amoureux du folk de l'époque. J'avoue qu'au début, j'ai eu du mal, mais la performance de ce type était si brillante que je me devais de l'interviewer pour le magazine. Et j'ai découvert derrière le personnage qui pratiquait la musique des beaux habits, costard et strass nashvilliens, en opposition à la majorité baba, un amoureux fou de guitare. Il m'a fait comprendre que la musique des bouseux américains était remplie de finesses, de subtilité, de liesse. Son parti-pris spectaculaire était pour lui l'indispensable ingrédient pour séduire le public sans chanter. Il m'a convaincu. Au point que je me suis même offert une guitare pour suivre les cours qu'il commençait à donner.» Et la légende de Marcel se met en place.

Le prof est sympa

Michel haumontL'avènement des années 70 va coïncider avec celui du guitariste. L'envie de partager ce qu'il avait découvert chez Chet Atkins et Merle Travis entraîne Marcel à commenter sans cesse les morceaux qu'il joue. Avec une telle verve et une passion si communicative qu'il passe naturellement à l'enseignement. D'abord au Folk Song Center de Lionel Rocheman, puis dans le magasin des frères Charnoz, Quincampoix, un autre haut lieu parisien de la guitare folk. Celui qui a tout appris «à l'oreille» va vite devenir un prof que les élèves s'arrachent. «D'autant qu'il avait, là aussi, rationalisé la tablature pour en faire l'outil d'accession immédiat au picking» ajoute Bernard Photzer. De cours en cours, les événements s'accélèrent. Après son interview dans Rock & Folk, Marcel avait confié sa vision ambitieuse du développement de sa technique et de la musique à Jacques Vassal. «Il m'a demandé si le magazine était susceptible de s'intéresser à une rubrique pédagogique qu'il voulait proposer. Je n'y croyais pas trop, mais ayant moi-même expérimenté le bien fondé de son enseignement, j'ai soumis l'idée à Philippe Koechlin, le rédac' chef, qui a accepté de le rencontrer». Marcel nous avait raconté l'épisode: (J'ai fini par aller au journal avec une guitare. J'ai mis Philippe Koechlin devant une tablature et il y est arrivé sans jamais avoir touché l'instrument.» Banco donc pour la Guitare à Dadi qui démarre dans le magazine en 1972. Banco gagnant car les transcriptions que Marcel fournit mensuellement ne se limitent pas aux seuls classiques du picking, mais s'ouvrent largement aux hits du moment. Un succès immédiat qui propulse partout en France le nom de Marcel Dadi qu'on voyait aussi à la télé dans l'émission Epinettes & Guimbardes de Lionel Rocheman. Il devenait temps de concrétiser cet engouement par un disque.

L'album

Les frères Jacobacci1973, Jean-Michel Gallois Montbrun, le premier directeur artistique de Marcel, les frères Charnoz qui lancent une souscription, Gérard Tournier, le producteur, conjuguent leurs efforts pour faire enregistrer à Marcel son premier album. Jean-Michel Gallois Montbrun: «Marcel a tout enregistré en trois heures dans un petit studio quatre pistes parisien Nous avions décidé d'inclure les tablatures de ses compositions dans le disque. Il les avait faites au brouillon, j'ai été moi-même obligé de les recopier au propre et à l'encre. On y croyait pas comne le patron des disques AZ, le distributeur de La Guitare à Dadi, qui m'avait dit compter sur la famille de Marcel pour en vendre au moins 12. Résultat, disque d'or et en cumulant les annonces, on doit arriver à 200-300.000 exemplaires vendus de cet album légendaire à la pochette signée du dessinateur Mandryka. Le phénomène Dadi était cette fois lancé à pleins tubes. Les disciples du guitariste se multiplient. Michel Haumont: «Il m'a tout appris. J'ai pris des cours avec lui à cette époque et son enseignement limpide était aussi impressionnant que son jeu. Je me suis mis à bosser comme un fou au point que j'ai fini par le remplacer comme prof quand il a arrêté.» 1973, c'est aussi l'annonce de la première méthode, La Guitare à Dadi, qui se vendra à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Joseph Béhar, dirigeant de Musicom, alors Music Express: «Nous venions de lancer notre société d'édition et nous cherchions plutôt à traduire les recueils américains d'Oak Publications. Et j'ai rencontré Marcel. Sa célébrissime méthode était déjà légendaire avant qu'elle ne sorte. Un jour dans un magasin je tombe sur Maxime Leforestier qui le connaissait depuis le Centre Américain. Il me présente, voici l'éditeur de LA méthode, elle est formidable. II ne l'avait pourtant pas vu puisqu'elle était encore à l'état de bouts de feuilles manuscrites à moitié lisibles scotchées les unes aux autres. On a même dû passer les premiers exemplaires à la trappe tant ils étaient bourrés d'erreurs.»

Rencontre au sommet

Marcel & Jean Félix 1973 encore, le deuxième album «Dadi's Folk» paraît. Le mouvement explose. JeanMichel Gallois Montbrun et Frédéric Leigbovitz qui va devenir l'éditeur discographique de Marcel profiteront bientôt de son succès pour lancer le label Cezame où les Giroux, Haumont et autres Bensusan s'exprimeront à leur tour. Mais 1973 sera aussi pour le déjà roi du picking l'année de sa rencontre avec le maître Chet Atkins, qui nous l'a raconté: «J'étais en tournée en Scandinavie et j'ai décidé de profiter quelques jours des charmes de Paris. Un éditeur new-yorkais m'avait donné le disque de Marcel et j'avais été sensible à ce jeune français dont le style était influencé par le mien. J'ai cherché son numéro de téléphone et nous nous sommes rencontrés.» Pat Vrolant était là: «Le premier jour nous avons été au Bilboquet avec Chet et Marcel écouter Jimmy Gourley. Le lendemain, nous avons rejoint Chet à son hôtel et pendant tout l'après-midi, lui et Marcel n'ont pas arrêté de jouer, de discuter, de plaisanter. Et Chet a été séduit.» Il nous l'a d'ailleurs dit: «J'ai été vraiment étonné par ce jeune guitariste qui avait une force étonnante dans les doigts. D'ailleurs, après, je n'arrêtais pas de le charrier sur son pouce, il possédait une façon remarquable de s'en servir et j'ai toujours admiré sa main droite. Et puis, loin du simple expert de la musique des autres qu'il était pourtant, il composait d'excellentes mélodies. Avec une touche européenne inimitable.» La rencontre entre Marcel et Chet entame une longue amitié et une collaboration au top niveau de la guitare. Profonde. Quand nous l'avons sollicité, Chet Atkins nous a expliqué d'une voix faible au téléphone que sa peine était si grande qu'il ne pouvait répondre que par écrit un terrible : «J'ai perdu un de mes meilleurs amis. Je pense parfois qu'il m'aimait autant que sa femme Catherine ou ses frères et soeurs. Je ressentais la même chose envers lui . » Chet Atkins n'allait pas être le seul grand américain lié à Marcel.

Ovation Story

J.M. Redon Revenons en 1973. Jusque là, Marcel jouait en acoustique d'abord sur sa Gibson J 55, puis sur une Martin sans tige de réglage qu'il avait été obligé de faire revoir par les luthiers Jacobacci, puis une autre. La légende veut qu'il ait emprunté celle de Pat Woods pour enregistrer son premier album. Pat Vrolant avait entre-temps incité Marcel à donner, ses cours dans un nouveau magasin, Central Folk. Là, un jour où l'importateur de la jeune marque de guitares Ovation posait un poster «en démo... X et sa guitare magique», Pat lui suggère d'engager plutôt celui qui faisait parler de lui, Marcel. Et Dadi rencontra Ovation. Il allait se passionner pour les produits novateur de la firme du constructeur d'hélicoptères et guitariste Charles Kaman. La caisse arrondie des Ovation lancées en 1966, le Lyrachord, composite de fibre silicone et de résine dont elle est faite, l'électronique à cristaux piézo-électriques vont devenir inséparables de l'image de Marcel qui sillonne la France pour de très événementielles tournées-démonstrations. Il va même bientôt participer à la conception du modèle high tech qu'Ovation à commencé; étudier dès 1972,l'Adamas. Charles Kaman nous l'a confirmé: «Marcel a été l'un de nos premiers endorseurs que nous l'avons consulté pour faire évoluer le son de cette guitare à table synthétique et aux épaulettes remplaçant la rosace.» De cette collaboration allait naître là aussi, une vraie relation d'amitié entre Marcel et Charles Kaman Gérard Garnier, actuel importateur d'Ovation: «Ce grand patron américain a été attiré par le guitariste français. Depuis qu'ils avaient passé de longs moments dans l'atelier attenant à sa maison de Bloomfield, ils étaient devenus amis et n'hésitaient pas à taper le boeuf ensemble.» Le reportage que Marcel avait consacré à la sortie de l'Adamas dans le magazine L).I.S.C. où il était «chef de rubrique guitare» témoigne de cette étonnante aventure.

La Star

Buddy Emmons Marcel qui ne cesse de faire progresser sa technique pourtant déjà monstrueuse devient alors une star. Les disques se parent d'or (La Guitare à Dadi n°3), il sort une nouvelle méthode pour débutants chez Paul Beuscher dont, selon Philippe Vuibout, 127.500 exemplaires se sont vendus. Et surtout, il multiplie les concerts et va attacher son nom au temple de la musique de l'époque: l'Olympia, où il s'était déjà produit quand les Hottenannies s'y étaient installés. Mais cette fois, c'est bien en son nom propre qu'il s'y produit. En 1974 avec une pléiade de français dont "Il Etait Une Fois" ou Pierre Fanen. Comble de bonheur, il retrouve le célèbre musical en 1977 avec Chet Atkins cette fois. Fort de son succès, il persuade RCA de sortir enfin en France les disques du maître. La suite, tout le monde la connaît. Les albums cartonnent, « Dadi and Friends 1 »(75), puis 2 retracent en live les concerts à l'Olympia, Marcel part vivre son rêve en enregistrant les Light's Up Nashville 1 & 2 (76) dans la Mecque de la musique entouré des plus grands. Il ouvre un premier magasin à Paris en 1974 dont la publicité dans Rock & Folk envoie en masse les guitaristes ravis de le rencontrer là, prêt à leur démontrer lui même les qualités d'un instrument et toujours en veine d'un conseil. En 1976, il demande au constructeur français Comel de lui étudier un ampli capable de reproduire fidèlement le son de ses Ovation. Ce sera le "Charlie", le premier ampli pour électroacoustique qui sort en 1977. L'homme ne s'arrête jamais. Il part à Londres jouer avec John Renbourn et Stefan Grossman pour un concert dont Frédéric Leibovitz se souvient encore: «C'était un samedi soir, l'heure approchait, je m'impatientais parce que ce show était important, une reconnaissance internationale pour Marcel qui, lui, attendait imperturbable que le soleil se couche avant de bouger. Il n'a jamais transigé avec ses profondes convictions religieuses.» Les anecdotes de ce genre se sont produites des milliers de fois dans la carrière du guitariste dont la foi juive était intimement inscrite dans sa vie. Imaginez ses difficultés à trouver de la nourriture "casher" à Nashville ou en tournée. Car les tournées, Marcel en faisait beaucoup.

Le parrain

Larry Coryell Au milieu des années 70, la star qu'il était devenu pouvait se permettre d'emmener avec lui en tournée un véritable orchestre. Jean-Félix Lalanne: "J'avais 13 ans quand il a accepté de me rencontrer. Quand j'ai sorti mon Ovation Custom Legend, il a été surpris qu'un gosse ait déjà une telle guitare. Et puis je lui ai joué Song For Chet. Le soir même, il me mettait sur scène. Il a été pour moi ce que Chet a été pour lui, j'ai travaillé sa musique et ses méthodes avec la même boulimie". Marcel et Jean-Félix se retrouveront sur scène plus tard. Comme Christian Laborde, jusque là sagement au Conservatoire de Toulouse avant de rencontrer Marcel en tournée en 1976: «Marcel était le seul grand guitariste à sillonner la province. Cela a été une vraie révélation pour moi de le voir. Je me suis mis à bosser sa technique, à progresser. Je suis resté en contact avec lui et un jour dans un concert à Toulouse, il m'a fait monter sur scène en me présentant flatteusement.» Et les années 70 défilent à toute allure pour le super picker qui trouve encore le moyen de signer un modèle électrique demi-caisse Ibanez Marcel Dadi ou de mettre les Beatles en tablatures.

Le tournant des 80

Marcel et Chet 1973Le début des années 80 va marquer une nouvelle ère. Marcel affine toujours son style, son extrême maîtrise technique et son appétit de musique insatiable lui font aborder des horizons moins nashvilliens. New Style (81), Dadi 2 Guitares (82) en Il s'était entouré du groupe Long Distance, avec Jean-Marie Redon, une vieille connaissance du Centre Américain, tout comme le pedal steel Jean-Yves Lozach. Jean-Marie Redon: «Un jour à Marseille, Marcel a fait monter sur scène un môme qui jouait à la perfection ses morceaux.» C'était Jean-Félix Lalanne. Car si Marcel était un fou de guitare, c'était aussi un amoureux des guitaristes. Un amateur prêt à pousser sur le devant de la scène ceux qui lui semblait posséder la flamme des grands. Le duo avec Jean-Félix Lalanne et Christian Laborde sortent alors avec un écho certain chez les amateurs. Mais l'époque n'est plus tout à fait la même. La musique a changé, les synthés ont débarqué, la vague folk reflue et l'ambitieux album "Dimanche après-midi" déroute les fidèles. La maison de disques du moment s'enthousiasme peu pour les projets du guitariste. Lui qui n'avait pas dételé depuis de longues années décide de faire un break. Marcel part en Israël en 1983. Il y restera cinq ans. Jean-Félix Lalanne: «Il m'avait dit, je veux voir mes enfants grandir». Evidemment, il n'abandonne pas la guitare. Il étudie, peaufine, se plonge plus encore dans l'approfondissement de Merle Travis et compose. Il rédige une nouvelle méthode évoluée, «Les grands secrets révélés», 300 pages qui sortiront plus tard. Quand il revient en France, c'est pour travailler à nouveau avec JeanFélix Lalanne: «Nous avons beaucoup bossé ensemble pour préparer l'Olympia 88 et la tournée qui a suivi. Marcel me laissait parfois travailler seul mes morceaux en précisant qu'il ne voyait pas ce qu'il pouvait y ajouter. Mais petit à petit, il s'est pris au jeu. Moi aussi, alors que j'étais plus plongé dans le travail de composition et de production que d'interprète. Il était revenu avec un univers mélodique plus fin, plus mûr, s'était détaché de la performance.» Le disque qui rend compte de ce travail, Country et Gentleman (88) marque le retour de Marcel au premier plan.

La mission

olympia 1977Il va alors devenir un véritable missionnaire de la guitare. Multipliant les projets et les participations, il s'implique dans l'Atkins Dadi Guitar Players Association dont la rubrique marque les débuts de Guitarist Magazine et une formidable offensive pour mettre en avant les nouveaux talents. Robert Nephtali, alors président, suit les conseils de Marcel: «Avant d'aller voir Guy Dupont, rédac'chef de Guitares & Claviers, il m'avait dit de gonfler à 1200 membres notre toute jeune association. Nous avons donc annoncé en coeur ce chiffre. Un peu plus tard, en passant sur le pont de l'Alma, Guy se penche pour me montrer, d'après lui, une moto immergée dans la Seine depuis 1944. Si tu divises le nombre par deux, j'éteins le phare rigola-t-il.» L'A.D.G.P.A. va pourtant prendre de l'ampleur. On la verra s'exprimer au Festival Cannes Guitares Passion avec Chet Atkins, dans les Conventions qu'elle organise à Issoudun où les stars côtoient les talents moins connus et dans une furieuse propagande tous terrains pour la guitare. Marcel, qui entre-temps a aussi sorti la «Règle à Dadi», un outil complet indiquant les positions des gammes, des modes, des accords sur le manche de l'instrument, n'en a pas pour autant abandonné sa carrière. En 1990, il part à Nashville pour enregistrer trois nouveaux albums en une session que réalise et arrange Slim Pezin: «On a fait 32 titres en 10 jours. Marcel me donnait de nouveaux morceaux le soir pour que je fasse les arrangements dans la nuit afin d'enregistrer le matin suivant.» Perfectionniste comme il l'a toujours été dans ces cas là, Marcel n'hésite pas à faire recommencer à Steve Morse des chorus que tout le monde trouvait bons. Steve Morse: «Si ce n'avait pas été lui, je ne l'aurais jamais fait. Mais il le demandait d'une façon si relax, si cool, en s'inquiétant de savoir si vous n'aviez pas besoin de quelque chose. Et puis, j'étais si content de me retrouver avec des stars du country comme Chet Atkins, Albert Lee ou Buddy Emmons.» Larry Coryell, qui avaient déjà tourné avec lui et étaient aussi présents, appuie: «Il savait faire rencontrer les guitaristes entre eux et je n'oublierai jamais que, grâce à lui, j'ai pu jouer avec Chet Atkins. Il avait un véritable amour pour ce qui pouvait arriver de bon aux autres, un genre de Bouddha. Energique, malicieux, exigeant. Je ne peux pas y croire.» Une phrase qu'on nous a si souvent répété. Nashville rendez-vous, Fingers Crossings et Country Guitar Flavors, issus de ces séances, seront les derniers albums de Marcel.

Last Waltz

Marcel & ChetDes projets toujours plein la tête, Marcel était pourtant sur le point de remettre ça. Claude Samard: « Nous venions de jouer ensemble quelque trucs en open et cela avait ouvert de nouveaux horizons à Marcel auquel j'avais suggéré une voie plus world music. Il m'avait dit qu'il avançait...» Là ou Marcel avait aussi, avance, c'était dans la création de Pro Music, sa firme de distribution des guitares Taylor, Lowden, Heritage, des amplis Koch. A Nasville, au moment d'être intronisé pour un dernier honneur au Walkway of Stars du Country Music Hall of Fame, il venait de signer un contrat d'endorsement avec Godin, encore un constructeur novateur qui l'avait intéressé. Comme nous l'a dit Michel Dorat, l'homme qui importe Ibanez en France: «Je ne peux pas m'empêcher de penser à la coïncidence qui a fait que l'avion s'écrase au dessus de Long Island, là où Marcel avait été tant de fois chez son ami Jerry Barberine, le créateur des cordes d'Angelico. Dire que Marcel m'avait fait passer ma peur de l'avion avec sa science de kinésithérapeute ! » La société Pro Music va continuer, ses disques et ses méthodes resteront, mais il va nous manquer.

Olivier Garcia