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La derniere interview

Sa dernière interview

Invité au dernier Festival "Tex-Mex" de Nogent-Le-Roi, Marcel Dadi donnait sa dernière interview à une radio locale, Radio des Trois Vallées. Nous la publions aujourd'hui quelques semaines après sa tragique disparition.

Les spécialistes vous tiennent pour le maître hexagonal du picking, d'ou vient ce style?

En anglais, picking signifie ramasser. Du coton dons les champs, par exemple. On peut faire du picking sur un piano, ou sur une guitare, c'est le geste qu'on décrit, celui qui consiste à tirer les cordes avec le pouce et les autres doigts, en un mouvement de ramassage. C'est une façon de s'exprimer polyphonique. On essaye avec le pouce de la main droite de faire une basse, avec d'autres doigts de jouer l'accompagnement et avec d'autres encore de la mélodie, voire encore de passer avec les mêmes doigts de l'accompagnement à la mélodie, ou à la basse, selon les moments et la nécessité. C'est un jeu très intriqué qui obéit finalement à certaines règles qui peuvent être très bien expliquées et surtout comprises très facilement. Le but de ma carrière c'était un petit peu de vulgariser entre guillemets ce mode d'expression en mettant au point un nouveau système d'écriture qui est la tablature, qui a permis de mettre à la portée de tout le monde ce que le solfège réservait à une élite.

Dans vos concerts, il y a un côté très pédagogique. On vous sent très désireux de transmettre aux néophytes les techniques de la guitare.

Ma carrière s'est construite sur la pédagogie. Au début j'étais un musicien qui adorait la guitare et ce qu'il avait trouvé sur les disques de ses maîtres, Chet Atkins, Merle Travis, Doc Watson, Jerry Reed, les Shadows, les Beatles, les Rolling-Stones, Eric Clapton, Jeff Beck, enfin tout ce que l'on pouvait entendre en France à la radio ou ailleurs, et Jimi Hendrix, bien sûr. J'ai donc puisé à un tas de sources et, n'ayant pas eu de professeur, j'ai travaillé à l'oreille, un peu comme, pour citer un grand maître, Django Reinhardt. Et plein de guitaristes qui n'ont pas bénéficié de la possibilité de trouver un répertoire en dehors du classique et ont, par conséquent, été obligés de le créer. Cela a d'ailleurs été notre chance de devoir défricher le terrain et de faire plein de choses. Quand j'étais jeune, j'habitais dons une banlieue sans infrastructure musicale ni conservatoire. On était livrés à nous-mêmes, on écoutait la radio et on essayait de faire la même chose que les stars du moment. J'en ai un peu souffert. L'autodidacte met énormément de temps à faire ce que les autres font en peu de temps lorsqu'ils ont la chance d'avoir un professeur. Quand j'ai eu la possibilité de maîtriser un certain nombre de choses, ma pensée est tout de suite allée vers ceux qui commençaient en disant "Je dois leur éviter tout ce que j'ai enduré toutes ces années", puisque le picking alors n'était pas enseigné en France. J'ai d'abord fait une rubrique dans Rock&Folk, qui était la première rubrique en tablatures au monde. Cette tablature que personne ne connaissait et qui maintenant est dans tous les magazines internationaux, utilisée et reconnue au même titre que le solfège. J'ai ensuite fait une première méthode, un premier disque, puis d'autres dans lesquels j'ai toujours pensé à mettre un livret de tablatures pour que les gens, en dehors de l'écoute, puissent s'adonner à l'étude des morceaux. C'est ce qui a créé un peu le phénomène autour de ma carrière, le fait que quelqu'un montrait enfin comment on faisait, mettait la guitare à la portée de tout le monde, contrairement à la tendance de l'époque qui voulait que chacun garde son savoir jalousement pour soi, ou alors fasse payer très cher pour le transmettre.

Pourquoi ne jamais avoir intégré un groupe?

J'ai eu des expériences avec des groupes. J'avais parfois jusqu'à dix musiciens sur scène, comme Jean-Marie Redon, Jean-Yves Lozach, Mick Larry à la mandoline (qui est devenu le bras droit de Patrick Sébastien...) et tant d'autres issus du Centre américain, boulevard Raspail à Paris, comme Bill Deraime, Gabriel Yacoub, Maxime Le Forestier, Alan Stivell ou Dan Ar Braz qui se retrouvaient tous les mardis soir pour des concerts invraisemblables... Country, blues, folk, on mettait tout dans le même panier. Au point que le revival folk américain s'est d'abord déclaré chez nous dans les années 70. Je me souviens que mon premier disque avait ouvert une brèche au niveau de la guitare. Quant aux disques de Maxime ou Alan Stivell, ils ont fait le succès que l'on sait. Dessinées par Mandryka et Gotlieb, les pochettes BD autant que les tablatures avaient créé tout un mouvement dans les lycées. Et à la suite de cela, mon éditeur Sésame, qui avait sorti mes premiers disques, a eu les moyens de lancer tous les gens qui gravitaient autour de moi, comme Alain Giroux, Michel Haumont, Yacoub, tout le petit monde du Centre Américain.

Vous semblez avoir un rapport quasi amoureux à votre guitare. Vous la présentiez tout à l'heure au public en disant: « Mon orchestre. »...

C'était un peu pour rigoler. Mais, comme je l'ai déjà dit, j'ai trois pôles importants dons vie, dans le désordre: la famille, Dieu et la musique. Et la musique, pour moi, ça passe par la guitare. Beaucoup de gens disent que je suis plus musicien que guitariste, mais je dirais que je suis plutôt guitariste que musicien. Des tas de choses naissent sur la guitare que je n'aurais pas pu créer sur un autre instrument. Du moins, je le ressens comme cela. Il y a un rapport amoureux à la guitare comme il y a un rapport amoureux avec la famille et avec Dieu.

La spiritualité est-elle une dimension importante de votre vie?

Oui. Tout le reste va avec, la façon d'être vis à vis d'autrui, vis à vis de la famille, vis à vis de la musique. Tout cela ne fait qu'un seul.

Vous êtes catholique, protestant?

Je suis juif orthodoxe. Mais c'est la même famille, si on regarde bien.

L'actualité scénique ou discographique.

Le train-train habituel, France, Italie, Allemagne Angleterre Etats-Unis... Je fais de la scène en fonction des contrats qui se présentent. Sinon, je me suis récemment remis à un album Nashville avec Steve Morse de Deep Purple, Albert Lee (qui accompagne les Everly Brothers), Chet Atkins, Larry Corryel, le super musicien de jazz, et une pléthore de musiciens extraordinaires. Quant à mes projets futurs, tout d'abord un disque en duo avec Chet Atkins sur les chansons françaises, et puis un album de guitare solo avec des compositions nouvelles et originales. Et puis, il y a un grand événement qui flatte mon ego : en juillet, je serai à Nashville pour entrer officiellement au Country Music Hall 0f Fame, le musée Grévin de la Country Music où je vais donc avoir mon étoile et mon nom parmi toutes les célébrités du genre comme Johnny Cash, Merle Travis, Dolly Parton, Chet Atkins, enfin tous les grands noms. La grande fierté, c est d'y entrer, bien sûr, mais c'est surtout d'être le premier étranger à y entrer, c'est très important.

Recueilli par Véronique de La Maisonneuve et Christophe Jubien.
Rock & Folk septembre 1996