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Hank Marvin

Le Disque: Quand et où es-tu né?

Hank Marvin: Le 28 octobre 1941, à New­castle dans le Nord-Est de l'Angleterre, un joli petit coin dans la campagne de North­ampton où se dresse de magnifiques falaises abruptes, comme un mur construit pour résister à l'assaut des vagues.

LD: Quand as-tu commencé à jouer de la guitare?

HM: A 16 ans. Par contre, un an auparavant j'essayais de jouer du banjo.

LD: A quatre cordes comme le banjo ténor ou à cinq comme le banjo américain?

HM: Eh bien, en vérité, c'était un banjo à 5 cordes dont j'avais ôté la cinquième corde! Je jouais du jazz traditionnel et j'ai passé un temps incalculable à chercher comment il fallait l'accorder. J'ai finalement acheté une méthode pour apprendre à l'accorder! C'était tout en solfège et je ne savais pas lire la musique. Ce que je voulais surtout savoir, c'était comment mettre les doigts pour obtenir les principaux accords et pouvoir jouer avec les autres. Je jouais dans un jazz band traditionnel avec des types origi­naires du Sud de l'Angleterre et aussi avec une espèce de « Skiffle group » avec lequel nous faisions du « folk-blues » ou des trucs dans ce genre.

C'est alors que j'eus ma première guitare à l'âge de 16 ans; une guitare très bon marché. C'est comme ça que tout a commencé.

LD: Venons-en aux Shadows. Comment vous êtes-vous rencontrés?

HM: Bruce Welch et moi-même appartenions au même "skiffle group" à Newcastle. Nous partîmes à Londres et après avoir joué un mélange de folk songs et de rock and roll pendant cinq ou six mois aux terrasses de cafés de la partie ouest de la ville, nous fîmes la connaissance de Cliff Richard. Il voulait former un groupe pour partir en tournée. Son manager qui m'entendit jouer, me proposa d'y participer. J'acceptai. Il avait aussi besoin d'un guitariste rythmique et Bruce décrocha le .< job ». Un autre groupe participait à la tournée et avait pour bassiste Jet Harris. A la fin de la tournée, Jet nous rejoignis au sein du groupe. Ainsi avec Cliff, il y avait Bruce, Jet et moi-même et un batteur qui s'appelait Terry Smart. A peu près deux mois plus tard, Terry nous quitta et fut rem­placé par Tony Meehan. Il fut tout de même le premier batteur des Shadows.

LD: Utilises-tu les doigts de ta main droite ou joues-tu toujours uniquement avec le médiator?

HM: C'est tout une histoire en fait. J'ai toujours joué avec un médiator, mais à peu près neuf mois après l'acquisition de ma première guitare, je me suis procuré un petit bouquin pour apprendre "Comment jouer du folk". Il contenait quelques petits trucs pour jouer en "finger-style". Au début, j'ai bien essayé, mais je n'y arrivais vraiment pas. A vrai dire, je n'y ai ni dépensé trop d'énergie, ni passé trop de temps. J'ai laissé rapi­dement tombé et je suis retourné à mon cher petit médiator. Il y a quelques an­nées cependant, j'ai utilisé une guitare flamenco pour quelques enregistrements nécessitant une technique un peu classique. Et puis John Farrar, le barbu du groupe, vint en Angleterre. Avec Bruce Welch et lui, nous avions formé un grou­pe. Nous chantions beaucoup et faisions des harmonies très complexes. John. lui, jouait beaucoup avec les doigts de la main droite utilisant une technique un peu particulière qui consiste à se servir du médiator (entre pouce et index) et de deux doigts (majeur et annulaire). Il jouait beaucoup de Chet Atkins. Il me gagna à ce style que je connaissais pourtant déjà depuis longtemps et me décida à m'y mettre plus sérieusement qu'auparavant.

LD: As-tu déjà rencontré Chet Atkins?

HM: Non hélas jamais. Mais je possède des disques de lui que j'aime beaucoup « Down home », « Teensville »(ou il y a « Sleep walk ») et « Alone «entre autres. J'ai aussi des disques de Jerry Reed son émule. J'aime beaucoup ce qu'il fait.

LD: Je suis très content, parce qu'en fait, je découvre que nos goûts sont très proches! C'est d'ailleurs peut-être à travers toi que j'en suis venu inconsciemment à aimer le genre de musique que jouent Chet et Jerry! Peux-tu nous parler des guitares que tu possèdes ou as possédées?

HM: Ma première guitare était une "Höfner Congress". Elle coûtait 16 livres. C'était une guitare acoustique à ouïes sans échancrure mais avec un micro pour pouvoir jouer en électrique. Je pensais qu'elle était magnifique... à cette époque. A la fin des années 50, il était impossible d'acheter neuf des instruments de marques américaines en Angleterre à cause d'un blocage de l'importation. Occasionnellement, on pouvait tomber sur une guitare d'occasion rachetée à un marin ou à un voyageur. C'est pourquoi nous étions toujours à la recherche d'un truc aussi excitant d'aspect que les guitares américaines que nous pouvions voir sur les disques. Un jour, je vis dans une boutique, une guitare avec une petite caisse, une échancrure et toutes les mécaniques d'un seul côté de la tête comme sur les Fender. Mais le manche était gros comme un tronc d'arbre et les cordes à 3 kilomètres du manche. Elle coûtait 33 livres et avait une sonorité assez inhabituelle. Je l'achetai à cause de son aspect et l'utilisai dans quelques disques de Cliff. Elle était atroce à accorder à cause de la hauteur des cordes. Je ne l'ai gardée que neuf mois parce que Cliff voulait que j'aie une meilleure guitare pour avoir un meilleur son derrière lui.

Nous aimions bien le son du guitariste de Ricky Nelson, James Burton (maintenant avec Elvis Presley). C'était tout à fait le son rock and roll que nous aimions. Nous savions qu'il jouait sur une Fender.

LD: Une Telecaster, je crois?

HM: Oui! Mais nous ne savions pas en fait quel modèle de Fender avait Burton. Nous savions seulement que c'était une Fender. Alors on se décida à écrire aux Etats-Unis à l'usine Fender pour avoir des détails sur leur gamme. On nous envoya des catalogues. Le modèle le plus cher de l'époque était la « Stratocaster »avec vibrato (on pouvait l'obtenir sans) et avec un manche en érable avec des « yeux d'oiseau (bird eyes) en option.

On pensa que ce devait être celle que nous cherchions et Cliff la commanda directement à l'usine aux Etats-Unis. Deux mois plus tard elle était là, dans toute sa beauté naturelle.

LD: C'est celle que tu avais sur la pochette du premier album des Shadows?

HM: C'est celle là, effectivement. Bruce Welch l'a toujours.

LD: Sur la pochette, Bruce avait une Telecaster si je me rappelle bien.

HM: Oui, mais en vérité il n'a jamais vraiment joué sur cette guitare. On la lui avait prêtée seulement pour la photo! C'était durant une période de transition en matière d'importation. L'interdit venait juste d'être levé et les gens de chez Vox s'étaient assurés l'exclusivité sur l'importation du matériel Fender. Les premiers colis contenaient quelques Precision Bass, quelques Stratocaster et des Telecaster. C'est pourquoi, afin de faire une publicité pour la gamme Fender, Bruce posa avec une Telecaster et Jet avec une Precision Bass. Pendant ce temps on nous faisait spécialement peindre en rouge deux Stratocaster et une Precision Bass pour que nous ayions tous trois des instruments de même couleur. On les reçus quelques jours plus tard. C'est ainsi que je rendis ma première Strato, qui ne m'appartenait pas vraiment, à Cliff Richard. Il la rangea dans un placard et l'y laissa jusqu'à ce que Bruce eut l'idée de lui demander - il y a 3 ou 4 ans - Qu'as-tu tait du modèle original de la Stratocaster qu'avait Hank au début?

Cliff lui répondit "Elle est dans un pla­card... tu la veux?". C'est ainsi que Bruce en hérita. C'est une guitare fantastique.

LD: Te rappelles-tu quel âge peut-elle avoir?

HM: Nous l'avons achetée en 1959, ce qui fait qu'elle a dû être construite en 1958... j'imagine. Le manche était vraiment bien taillé, impeccable pour accorder la guitare juste. Vraiment très fin.

LD: Mon ami Roger Field m'a dit qu'un de ses copains a racheté une Gretsch Country Gentleman qui t'avait appartenue. Un des premiers modèles sortis, avec une seule échancrure.

HM: C'était sûrement un des premiers modèles car ce fut en fait la pre­mière dans ce pays. Encore une fois, c'était juste après la levée de l'interdit sur l'importation d'instruments américains. Lou Davis avait reçu un stock de Gretsch et parmi les Tennessian et les autres Gretsch se trouvait cette Country Gentleman. C'était vraiment la première dans ce pays. C'est une très bonne guitare. Je l'ai utilisée dans quelques morceaux dont « Nivram ».

LD: Ah oui ! le fameux titre ana­gramme de Marvin que tu joues en duo avec Bruce?

HM: Exactement! Maintenant, quand nous le jouons sur scène nous le faisons à trois guitaristes jouant chacun une partie différente des deux autres.

LD: Les Shadows chantant à l'Eurovision... C'est un peu une surprise de la part d'un groupe instrumental ?

HM: Tu sais, quand nous passions aux terrasses des cafés nous chantions du «folk song » et des choses dans ce genre. Notre premier disque en tant que Shadows, ou plus exactement « Drifters » à l'époque, était un disque vocal très dans le style de ce que faisaient les Crickets ou les Everly Brothers. Le disque suivant fut instrumental, purement par hasard. Nous avions enregistré deux instrumentaux sur le 33 tours de Cliff Richard, seulement pour varier un peu la couleur du disque surtout vocal. Les deux titres furent étonnement appréciés et notre producteur nous demanda de faire un 45 tours. Ce fut un succès estimable. Après ça, comme nous ne savions pas quoi faire et que nous avions deux chansons prêtes, on fit une autre disque vocal. On vendit mieux mais ce n'était pas encore ce que l'on peut appeler une réussite. Nous étions dans une position où nous aurions pu s9rtir n'importe quoi du moment que ça pouvait marcher. C'est alors que l'on entendit Jerry Logan chanter « Apache ». Nous lui avions demandé s'il avait quelques chansons ou instrumentaux que nous puissions enregistrer. Il nous fit écouter un titre dont il n'avait encore rien fait. Il le joua sur son ukulele car il avait l'habitude de composer sur cet instrument. C'était « Apache ». On l'enregistra, on sortit le disque et le reste fait partie de l'histoire.

Mais c'est seulement parce qu'Apache fut un succès que l'on continua à faire des instrumentaux. Nous faisions quand même des morceaux vocaux en face B et sur scène.

LD: Oui, je me rappelle « All my sorrow » sur le premier album, c'était un véritable « folk-blues » d'ailleurs l Quelle guitare utilisais-tu dans ce titre?

HM: Je ne me rappelle plus vraiment.

LD: Certainement la Strato. D'ailleurs de nouveau à propos de tes guitares, tu ne nous as pas tout dit puisque, si je me souviens bien, tu as joué pendant longtemps sur une Baldwin, ainsi que Bruce d'ailleurs.

HM: A l'origine ce n'était pas Baldwin, mais Burns, modèle Bison. Vers 1963, pour certaines raisons nous avons eu des problèmes avec les Fender. Sur­tout pour s'accorder juste. Nous en avions des nouvelles et c'est surtout Bruce qui s'en plaignit. On essaya de changer les manches mais le problème resta le même. Les gens de chez Vox les testèrent sur leurs propres machines (ils fabriquaient leurs propres guitares) et précisèrent que les barrettes n'étaient pas bien disposées. De toute façon, nous en avions un peu marre des Fender. Et Jimmy Burns que nous connaissions, nous proposa de nous fabriquer des guitares si nous voulions en changer. Après réflexion, tout le monde accepta et on lui expliqua ce que l'on désirait en gros. Au point de vue sonorité, il fallait que cela se rapproche de la Stratocaster; deux échancrures et un vibrato. Voilà c'est tout. Nous avions des­siné nous-mêmes la tête. Je n'aimais pas tellement l'esthétique générale de ces guitares. Mais c'étaient de bonnes guitares, tenant bien l'accord et avec une bonne touche.

Malheureusement, il y a quelques années, on m'a volé la mienne. J'ai perdu ainsi 4 ou 5 guitares dans une fourgonnette. Je ne les ai jamais retrouvées. Comme je n'avais plus de guitare, j'ai demandé à Bruce s'il pouvait me prêter sa Fender Stratocaster, celle qui ,a traîné dans le placard de Cliff, la vieille originale. Bien sûr, il me la prêta et ce fut fantastique dès les premières notes. J'avais le son. Elle était légère comme tout comparée aux lourdes Burns. Je l'utilisai ainsi pen­dant 5 ou 6 mois et je décidai de m'en racheter une. J'achetai en même temps une Les Paul Gibson que je revendis très peu de temps après parce que je ne l'aimais pas vraiment.

Aujourd'hui j'ai deux Stratocaster. L'une d'entre elle est « trafiquée « j'ai mis un micro humbucking Gibson près du manche, un micro humbucking Fender (comme sur les Telecaster Deluxe ou Custom) près du chevalet et un micro normal de Strato au milieu. J'ai fait installer deux sélecteurs pour obtenir toutes les possibilités de mélange des micros et un sélecteur qui me donne la moitié du micro Humbucking Fender (qui contient deux micros). Elle a des sonorités très intéressantes mais qui n'ont plus vraiment grand chose à voir avec le son original d'une Stratocaster. J'ai fait faire un vernis noir et dorer toutes les parties métalliques.

L'autre est tout à fait standard. Vraiment le "truc" des Stratocaster c'est cette attaque inimitable sur les cordes graves et cette espèce de résonance qui passe vraiment bien.

LD: Pour conclure, quelles sont les cordes que tu emploies et comment avez-vous trouvé la sonorité « Shadows »

HM: Sur guitare acoustique j'emploie des Gibson faible tirant (Light Gauge) et sur électrique des Ernie Ball. Quant au son "Shadows" nous l'avons trouvé tout à fait par hasard. Nous cherchions simplement à imiter la sonorité des Américains, Burton, Merle Travis, les Everly Brothers,... C'est tout.

Propos recueillis par MARCEL DADI.