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Interview 1977

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il serait bon que l'éventuel lecteur (je sais que les amateurs de rock se sentent souvent peu concernés par ce que l'on appelle le folk) se reporte au numéro 4 de Rock en Stock, et plus particulièrement à l'article consacré au festival folk de St Florent. Dans cet article, Paul Puni évoquait, entre autre, la manière avec laquelle le public (une partie du moins) avait accueilli Marcel Dadi, à qui les « Folkeux » doivent pourtant beaucoup plus qu'ils ne semblent le penser.

Est-il besoin de revenir sur la carrière de Marcel Dadi, le personnage est, je pense, connu de tous. Rappelons simplement que C'est à son initiative que l'on doit la vulgarisation des tablatures de guitare qui permirent, et qui permettent toujours, à de nombreux jeunes guitaristes de se perfectionner dans la pratique de leur instrument. L'interview qui suit est en quelque sorte une mise au point de Marcel Dadi à propos des festivals folk, et en particulier de celui de St Florent 77. A l'occasion il n'hésite pas à égratigner quelques "personnalités" journalistiques, mais peut-on le lui reprocher?

Rock en Stock: Marcel, tout le monde te connaît, et je crois que tu as beaucoup de choses à dire, notamment sur ce qui s'est passé lors d'un certain festival folk. Ce qui m'étonne personnellement, c'est que j'ai eu l'occasion de te voir en concert, et cela s'est toujours bien passé comme j'ai pu le constater, mais récemment tu sembles avoir eu quelques problèmes au niveau des festivals.

Marcel Dadi: Tu fais allusion au festival de St Florent qui était annoncé comme étant un festival Folk and Country. Peut-être parce que les organisateurs de festivals se rendent compte qu'il faut tenir compte du phénomène Country.

A une certaine époque tout était regroupé sous l'étiquette folk. D'ailleurs, avant de parler de St Florent j'aimerais évoquer quelques problèmes a propos du folk en France... Jusqu a l'arrivée du folk français traditionnel tout était « Folk », que ce soit Country ou autre. Les problèmes sont apparus avec l'arrivée de nouveaux venus sur la scène folk. En effet parmi ces nouveaux venus certains ont purement et simplement décidé de faire sécession en disant «ceux qui font de la musique américaine sont des pourris, alors que nous sommes les vrais, les purs, les autres ne font que copier ». Mais le plus grave c'est que ce genre d'arguments soient repris par certaines personnes de la presse, en particulier Jacques Vassal, pour ne pas le citer, qui, très bizarrement, a retourné sa veste dans son compte rendu sur le festival de St Florent; compte rendu dans lequel il interprète les faits plutôt que de les rapporter tout simplement. En plus il traite de "Singes" les musiciens qui jouent de la musique américaine, en disant qu'un français ne peut réellement ressentir, et donc interpréter, cette musique. Ce qui est grave... Car si on pousse plus loin ce genre de raisonnement, ça voudrait dire qu'un américain qui n'est pas né au Kentucky ne peut pas jouer de Blue Grass, qu'un américain blanc ne peut pas jouer de Blues, etc. etc. Ce qu'il y a de choquant avec Jacques Vassal, c'est que quand on le lit on se rend compte qu'il aime la musique américaine, ce qui est assez ambigu et pour le moins paradoxal. C'est pour cela que je dis qu'il retourne sa veste. Il a, entre autre, écrit des bouquins sur la musique américaine et à la limite je lui retourne son argument; a savoir, que si un musicien français ne peut pas jouer de musique américaine, comment un français écrivant sur cette musique pourrait-il, lui, la comprendre; et est-ce que le problème du musicien n'est pas, à la limite, le même que celui du simple mélomane.

RS: Revenons-en à St Florent si tu le veux bien. Au moment du festival tu avais incriminé les organisateurs, et en particulier Nicolas Cayla, et tu sembles être revenu sur ta position vis à vis de ce dernier?

MD: Au moment du festival, les organisateurs m'ont contacté en me demandant simplement si je voulais jouer. Au départ je n'étais pas très chaud pour le faire dans un festival. A mon avis il y a trop de gens qui n'ont rien à faire dans ce genre de manifestation, et qui ne sont là que pour récupérer politiquement l'événement. Comme je me sais la cible de ces gens là, je me méfiais.

J'ai déjà été traité de fasciste, ce qui d'ailleurs ne veut strictement rien dire; ceux qui me connaissent le savent bien.

RS: Est-ce que cette étiquette de fasciste qu'on t'attribue, s'adresse à toi plus particulièrement ou à la musique que tu joues?

MD: En fait elle s'applique sans doute aux deux, car les deux sont indissociables. On me fait aussi des reproches plus précis. On accuse Marcel Dadi d'être un personnage... et ça c'est très regrettable. Pas seulement pour moi mais aussi pour le folk tout entier et là je fais encore allusion aux « nouveaux »venus dont je parlais précédemment. Dans la mesure où ils ont voulu faire du folk un mouvement politisé (la première étape étant le refus d'un certain vedettariat) ils ne supportent pas que Marcel Dadi soit considéré comme une vedette du folk! Sans même se rendre compte que ce statut de vedette ne vient pas de moi, ni même d'ailleurs de mon attitude. Évidemment je reconnais que cela me fait plaisir lorsqu'un jeune de quinze ans me reconnaît. Cependant ceux qui me connaissent savent bien que je ne cultive pas ce côté là et qu'à tout moment je suis abordable et que j'accepte de venir discuter avec les gens. Et ça personne ne peut le nier. Je mène une vie simple et j'ai mes qualités et mes défauts comme tout le monde. Je ne tiens pas à devenir un mythe ou une légende vivante. En plus de ça, on m'a accusé de beaucoup de choses et ce, dès la sortie de mon premier disque. Quand ça a commencé à marcher un peu, les reproches ont suivis... On m'a dit « oui, c'est toujours la même chose » etc. Pour le deuxième j'ai varié les styles et on a dit «au prochain il va se casser la gueule ». Au troisième on a dit «Oui, mais il joue toujours tout seul » etc. Et ainsi de suite jusqu'au 6ème album. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Si je te raconte tout ça c'est parce qu'en fait ça explique les réactions au festival de St Florent. Le dernier gros reproche que l'on me fait est celui de gagner de l'argent, alors qu'en fait on me jalouse surtout car je ne fais que profiter de mon travail. Au départ je n'avais aucune certitude de réussite commerciale. J'ai simplement fait ce dont j'avais envie. Alors on me reproche d'avoir senti le vent venir ». Et tout le monde ne voit que le résultat au niveau commercial sans se préoccuper du travail que cela a nécessité. C'est tout cela qui fait qu'autour de moi il y un climat « mauvais »... Il y aurait même une Mafia Dadi ». J'aurais la main-mise » sur tous ce qui se passe. On dit Dadi et ses publicités, ses magasins » alors que, par exemple, au niveau des magasins je me défends à armes égales avec mes concurrents. En fait on me reproche de m'être trop dédié à ce que j'aime. Il faut se rendre compte du travail que représente ce que j'ai fais. Quand je me suis rendu compte que les gens voulaient apprendre à jouer de la guitare, j'ai eu l'idée de faire une méthode de guitare avec tablatures, alors qu'il n'y a rien de plus ennuyeux que de faire ce genre de travail. Je l'ai fait d'abord pour rendre service à tous ceux qui désiraient apprendre la guitare. Je n'avais nullement besoin de cela puisque j'étais déjà connu. Encore maintenant je prépare un bouquin sur Chet Atkins et en fait ce n'est pas du tout mon intérêt puisque lorsque les gens le connaîtront ils verront bien qu'il joue mieux que moi.

La réaction des gens quand ils voient cela c'est de dire: ce n'est pas normal, cela cache sûrement quelque chose » et « il ne fait pas cela uniquement pour le plaisir ».

RS: Si on parlait des concerts et des problèmes des festivals?

MD: Sur scène on me reproche d'être arrogant, prétentieux, etc. Alors qu'en fait je reste naturel. Je n'y suis pour rien si je donne cette impression aux gens. Il faut bien comprendre une chose, c'est que sur scène je construis un spectacle. Tout le monde semble pas s'en rendre compte, et trop de gens prennent cela au premier degré. De toute façon si certains sont étroits d'esprit, c'est leur problème. Toujours est-il qu'il y a une très grande majorité du public qui vient à mes concerts et qui comprend que Marcel Dadi se crée un personnage pour le critiquer lui même. Et ceci ne peut-être qu'une forme d'humour. Je sais évidemment les critiques que l'on peut me faire et je me contente de les précéder en faisant moi-même les mises au point.

RS: Michel Haumont fait à peu près le même genre de musique que toi, et il ne semble pas avoir les mêmes problèmes?

MD: C'est normal. Dans la mesure où certaines personnes m'en veulent, celles-ci trouvent en Michel Haumont mon opposé. Michel Haumont représente le bon, le gentil, et moi le méchant... Ce qui est un peu primaire dans la mesure où Michel Haumont est un de mes anciens élèves et qu'il a honte de le reconnaître compte tenu des réticences de certains à mon égard. A part ça, il joue exactement ce que je lui ai appris ou ce qu'il a appris sur les disques de Chet Atkins; quoiqu'en pensent certains il n'a pas encore (et moi non plus) un "style" à lui. Nous en sommes tous les deux très loin!

RS: Il semblerait que l'attitude du public lors de ces festivals vient uniquement de toi?

MD: D'une certaine façon, bien sûr. Par exemple à St Florent je suis arrivé avec un beau camion Mercedes qui sert à mes musiciens et qui est confortable, et c'est le genre de choses que l'on me reproche principalement... Et là j'en ai eu l'exemple. Ceci dit à St Florent il y avait une petite scène et Nicolas Cayla était en train de participer à une discussion très animée sur Marcel Dadi avec les interventions du genre est-ce que si vous faisiez du folk vous viendriez avec un beau camion et avec votre nom dessus ? » et tout le monde de dire non » alors que deux heures plus tôt David Bromberg avait joué dans un super-costume et avait recueilli les acclamations du public. Prenons un exemple... Quand j'ai commencé à jouer «électrique » on m'a reproché de vouloir me distinguer alors que je ne faisais que ce que j'avais envie de faire, et ça n'avait rien de singulier puisque j'étais influencé en cela par les américains. Seulement quand Bromberg arrive avec sa Telecaster tout le monde trouve cela super. Pour en revenir à Nicolas Cayla puisqu'il dirigeait la discussion quand je suis arrivé, il disait « si vous n'aimez pas Dadi, le meilleur moyen de le lui montrer c est encore de ne pas allez le voir et de vous barrer ». Alors ma première réaction fut de croire que cela était dirigé contre moi. C'est en cela que j'ai fait marche arrière sur ma première impression.

RS: A St Florent une partie du public disait «Dadi Facho» ou encore «Amin Dadi »... Qu'en penses-tu?

MD: A St Florent avant de monter sur scène j'avais participé à un atelier avec Michel Haumont, et je venais de trouver de nouveaux trucs, et j'étais heureux de les montrer en toute simplicité, alors que je suis sûr que beaucoup de gens ont pensé à un coup de frime. Mais malgré cela tout s'était très bien passé au niveau ambiance et cela m'avait rassuré, j'étais confiant pour la soirée. Seulement le soir il y eut un temps mort assez long entre «Long Distance » et moi, et le public a commencé à s'énerver gentiment au début, jusqu'au moment où certains ont commencé à crier «Amin Dadi-Go Home »etc. Alors tu vois quand Vassal dit dans son compte rendu de R et F que ça peut passer, je ne suis pas d'accord et je ne trouve pas cela drôle du tout. Ca ne risque pas non plus de me faire descendre d'un prétendu piédestal, car si piédestal il y a ce n'est certainement pas moi qui me suis mis dessus. Ensuite sont venus les «Dadi t'es foutu, la musique est dans la rue »... Je me demande vraiment où étaient les vrais fascistes ce soir là puisqu'en fait c'était une minorité du public qui empêchait d'entendre ce pourquoi ils étaient venus. Au bout d'un moment ceux qui étaient là pour écouter ont commencé à s'énerver aussi. Ensuite j'ai dédié mon second morceau «à tous les emmerdeurs ici présent » et j'ai ajouté «pour leur prouver qu'avec la sono on m'entendra toujours plus qu'eux »... Ça peut paraître bête, mais en fait c'était la réponse à des lâches qui agissaient anonymement, et c'était la seule manière que j'avais de leur répondre... Quand on est attaqué on se défend, et c'est ce que j'ai fait. Ensuite plusieurs pierres ont été jetées, et là on a atteint vraiment les extrêmes, puisqu'il y a même eu des débuts de bagarres. A ce moment-là je me suis senti obligé de faire une mise au point, et j'ai dit, reprenant les propos de Nicola :Cayla « que ceux qui n'aimaient pas ma musique n'avaient rien à faire là et que d'ailleurs c'était moi-même qui avait demandé à passer en fin de festival afin que ces derniers ne soient pas obligés de me subir ».

Dès le moment où j'ai dis cela tout c'est très bien passé. Moi, par contre, je n'étais plus du tout en condition, et je me suis contenté d'assurer, je le reconnais... J'ai quand même eu un rappel. Je me pose la question:

Comment peut on traiter un mec de salaud et ensuite applaudir?

RS: Quelles conclusions en tires-tu personnellement?

MD: La leçon que j'en tire est que le festival de St Florent est considéré comme une réussite alors que je pense que c'est le début de la décadence du folk, au niveau du public s'entend, et pas des musiciens. On commence à assister à une récupération commerciale et politique de cette musique. Moi je dis "Non" à St Florent et par là même "Non" aux festivals.

RS: Changeons un peu de sujet. Comment te définis-tu musicalement ?

MD: Je ne veux pas être pris pour autre chose qu'un guitariste, et ce sans aucune considération de style.

RS: Pour beaucoup tu ne représentes pourtant qu'uniquement un bon guitariste de « Picking»?

MD: Les gens qui pensent cela ne connaissent pas vraiment mes disques, sinon ils sauraient que je ne suis pas aussi limité au niveau style qu'ils le prétendent, car dans mes disques il y a de tout, sauf peut-être, du rock... Mais le public rock ne s'intéresse pas à moi de toute façon, bien qu'une de mes plus grosses influences soit Eric Clapton.

J'aimerais tout de même préciser une chose à propos des festivals. C'est d'abord que je ne participerais plus à aucun festival, et ensuite que le public m'a attaqué personnellement mais n'a rien reproché aux organisateurs alors qu'eux étaient les vrais responsables de ma programmation. Finalement c'est moi qui ait assumé seul, face au public, la situation, alors que je n'en étais pas entièrement responsable. Ce que je reproche aux organisateurs c'est de s'être servis de mon nom pour attirer du monde, et ensuite de s'être désolidarisés quand cela a mal tourné.

RS: Penses-tu avoir évolué depuis ton premier album?

MD: Oui, bien sur. Mon premier disque certains l'ont trouvé fantastique, alors que maintenant pour beaucoup de guitaristes il apparaît un peu comme un disque de débutant. D'ailleurs beaucoup sont venus à la guitare grâce à moi. Récemment à Marseille j'ai vu un jeune guitariste de quinze ans et je peux te dire son nom, il s'appelle Lalanne et on le surnomme Mémose. Il compose des trucs vraiment super. Il joue des trucs de Chet Atkins que je ne joue pas et qu'il a déchiffré lui même à l'oreille. Il a acquis sa première expérience de guitare grâce à mes disques. Cela me fais plaisir, mais à plus ou moins brève échéance ce gars là sera vraiment un concurrent sérieux, qui peut-être même, un jour, me dépassera, et ce jour-là je serais vraiment content car ce sera un peu grâce à moi.

D'ailleurs j'ai le vague projet de parcourir la France pour y découvrir des gens capables d'enregistrer, et aussi de les produire pour le pied. Mémose a joué à Marseille et il a eu autant de succès que moi, si ce n'est pas plus vu son âge. L'avenir c'est ces gens là. Si un jour je n'ai plus rien à dire, ma satisfaction sera de faire découvrir des gens qui eux ont encore quelque chose à dire.

Marcel Dadi - Rock en Stock 1977