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Sono 1975

Peut-être aussi parce que Marcel Dadi n'est pas entré dans le show business, comme d'autres artistes, par la porte de la rentabilité, mais par celle du talent beaucoup plus petite et cachée au fin fond d'un labyrinthe de travail et de patience. Enfin, il nous fait partager son savoir: Ses méthodes, modèles du genre, s'adressent à tous ceux qui considèrent la guitare comme un instrument noble et complet, qu'ils soient virtuoses ou débutants. La bande à Dadi? C'est une poignée de grands musiciens, et quelques techniciens, électroniciens, acousticiens et sonorisateurs, oeuvrant à reproduire sur scène « la » sonorité de la guitare de Marcel, avec toute sa finesse, son ampleur, pour que vous retrouviez la country, comme si vous étiez à Nash ville... Somme toute, voilà bien des applications musicales et techniques ne manquant pas d'originalité: c'est pourquoi nous avons rencontré Marcel Dadi, et ses collaborateurs. Mais tous ont beaucoup à dire... aussi Pourquoi Marcel Dadi? Sans doute parce qu'il est aujourd'hui le guitariste le plus fameux, qu'il a implanté en France la country music, celle réservée habituellement aux initiés d'outre-Atlantique, grâce à son jeu « le Finger Picking » déjà utilisé par son modèle. Chet Atkins. aujourd'hui nous nous attarderons à la technique du jeu de Marcel Dadi et la prochaine fois aux problèmes de la sonorisation sur scène d'une formation « country ». Mais, trêve de promesses, rendons-nous chez l'artiste:

SONO: Quelle bonne fée vous poussa un jour à toucher une guitare?

M.DADI: Comme la plupart des événements de la vie de chacun, c'est le hasard qui décida pour moi ! Avec l'aide de mes frères et parents, tout de même...

A l'époque, j'avais une dizaine d'années quand mon frère eut sa première guitare. Très vite il imita la musique du mouvement, et forme même un groupe: le « little boy », non sans analogie avec un célèbre morceau du répertoire des Shadows; formation modèle pour beaucoup. Bercé dans cette ambiance, le m'y suis plongé tout à fait en m'efforçant de louer parfaitement synchrone avec les disques des Beatles, puis de Yarbirds, des Kinks et des Cream. Je fondais aussi un groupe dont j'étais le soliste et très vite nous devînmes très demandés dans les soirées modernes de notre banlieue. C'était si grisant que le redoublais ma seconde au lycée... il y eut un frein bien naturel, imposé par mes parents, et je cessais les « tournées » pour me consacrer chez moi au travail scolaire et parallèlement tout de même, à la technique de la guitare en répétant sans cesse les mêmes titres jusqu'à l'analogie complète avec le disque. Pour moi, c'était très important, car, pouvoir imiter de très bon joueurs représentait l'apothéose de tout jeune musicien. Puis, un jour, chez un ami, le reçus le choc, l'impulsion qui remit tout en question et cela en écoutant un disque de Chet Atkins, totalement inconnu en France.

La guitare représentait jusqu'alors l'accompagnement pour les uns, le solo de la mélodie pour les autres puis les techniques nouvelles comme celle d'Eric Clapton qui « tirait » sur les cordes, mais chacun s'en tenait à des créneaux bien établis. Tout à coup, voici qu'un américain loue la mélodie, l'accompagnement, et la basse, c'est à dire le travail de trois musiciens et, ce, simultanément!

Je suis vraiment tombé en admiration devant ce leu appelé: « Finger-Picking » et à partir de ce moment là j'ai travaillé ce style en profondeur. Je me suis retrouvé professeur de guitare au centre américain, l'ai donc pu transmettre cette technique à de nombreux élèves à l'aide d'un procédé qui s'était perdu dans la nuit des temps: les tablatures. Mes études touchant à leur fin, le recommençais à fréquenter les petites salles de spectacle où le jouais les titres de Chet et aussi quelques compositions personnelles. Un ami, Hervé Christiani, qui avait déjà enregistré deux 45 tours me proposa de transmettre une bande magnétique à sa maison de disques, ce que le fis bien entendu... Mais le temps passa et l'avais presque oublié cet enregistrement, quand, à la fin d'une soirée passée dans un club, un directeur artistique me demanda mon accord pour sortir un disque. Je redoublais de travail et l'album parut avec sa pochette type « bande dessinée » et les tablatures de chaque titre: événement unique en France...

SONO: Avant de poursuivre le récit de votre carrière, nous aimerions nous attarder sur la guitare, d'un point de vue plus technique. Comment un jeune musicien débutant doit-il s'y prendre pour choisir un bon instrument?

M. DADI: Une première observation dans le domaine de l'instrumentation c'est de faire confiance à une marque: un nom connu est souvent un critère de qualité surtout si l'on achète sa guitare dans un magasin non spécialisé. Par contre, si l'on fréquente un endroit exclusivement orienté sur un type d'instrument ou un style de musique, le vendeur, grâce à ses connaissances, peut conseiller une marque peu connue. Après c'est une affaire d'esthétique. La sonorité, elle, n'est pas absolue : il faut comparer plusieurs guitares avant d'arrêter un choix. Il est certain qu'il y a tout de même quelques bases communes à tout bon instrument. Par exemple, les cordes qui « frisent » quand on appuie sur les cases, bien qu'aujourd'hui, la plupart des manches soient réglables. Une intervention d'un spécialiste peut empêcher ce défaut, mais, si les diverses modifications n'apportent aucune satisfaction, la guitare est à rejeter. L'examen des barrettes peut en dire long aussi sur la bonne santé de l'ensemble. Si elles présentent des angles aigus, c'est en général un signe de mauvaise finition: La meilleure façon de le constater c'est de passer la main sur les barrettes; aucune ne doit accrocher la peau. J'ai souvent remarqué que les gens n'osaient pas louer fort lors du choix d'une guitare dans un magasin, peut-être par timidité ou de peur d'endommager un instrument neuf. Sachez que les défauts n'apparaissent généralement qu'en jouant normalement et sans préjugés. En « grattant » doucement on ne peut s'apercevoir, par exemple, si les cordes « frisent » pour une quelconque raison. A titre indicatif, c'est dans les trois ou quatre premières cases de la grosse corde que ce défaut est le plus souvent mis en évidence.

SONO : Peut-on changer de «style» ou de jeu avec un seul instrument, en particulier avec une guitare classique?

M.DADI: Il est certain que les débutants commencent en principe à gratter sur une guitare classique et c'est très bien, même s'ils veulent étudier le picking : Je dirai même que c'est pratiquement l'idéal; en effet dans ce leu une grande précision est nécessaire, donc plus le manche est large et plus les loueurs ont de facilité à jouer correctement. Chet Atkins quand il n'utilise pas de guitare électrique loue exclusivement sur une guitare classique.

D'autre part, si l'on compare, à prix égal, une guitare classique à une folk, il y a de chances pour que la classique « sonne » beaucoup mieux. La raison est simple: la folk est enjolivée et équipée de matériel annexe onéreux qui n'apporte pas grand chose à la qualité du son. Attention, la guitare folk a tout de même quelques avantages: Comme celui de pouvoir monter des cordes à fort tirant de par la structure du chevalet bien encré sur la table.

Un possesseur de guitare électrique, à la limite, peut jouer exactement les mêmes morceaux; la seule différence réside dans l'exécution: on ne peut attaquer les cordes d'une guitare électrique avec autant de force, c'est un instrument qu'il faut flatter avec douceur alors qu'il est nécessaire d'« agresser » une guitare classique ! Il est certain que si un amateur veut retrouver exactement la sonorité « Marcel Dadi » le moyen le plus simple est encore de jouer sur l'instrument que j'utilise. Ce n'est pas un secret, personnellement l'aime la sonorité des ensembles Ovation, ce n'est pas une règle, c'est un goût. Je voudrais préciser aussi que mes albums ont été enregistrés sur des guitares tout à fait standard, sans modification d'aucune sorte. A l'heure actuelle je suis en possession du modèle Adamas, encore à l'échelon du prototype, mais dont la version commerciale bénéficiera des mêmes techniques de fabrication. Elle « sonnera » donc comme la mienne.

SONO: Maintenant que nous savons choisir un instrument, nous voudrions tout simplement... apprendre à jouer. Vos méthodes assez révolutionnaires, utilisent la technique des tablatures. Que signifie cette appellation inconnue en France avant votre arrivée?

M. DADI: Je n'ai rien inventé; les tablatures existaient au Moyen Age bien avant le solfège: disons que j'ai rénové cette technique avant de la diffuser au public. La tablature est une écriture adaptée à la guitare où la position des doigts est mentionnée. Un exemple : sur cet instrument il est possible d'obtenir exactement la même note à quatre ou cinq endroits différents; la notation classique doit donc être complétée par des signes indiquant ces variantes. La tablature, elle, indique directement les cordes et la position des doigts concernés sur la manche, sans autre forme de repère.

Les six lignes de la tablature représentent les six cordes de la guitare, la ligne supérieure correspondant à la première corde et la ligne inférieure à la sixième. A mon avis, c'est un moyen d'écriture beaucoup plus rationnel que le solfège, pour la guitare bien entendu. Cela ne doit pas empêcher, et c'est même recommandé, d'apprendre la théorie classique, car toutes les partitions ne sont pas écrites pour guitare, il est intéressant de les comprendre tout de même! Disons simplement que ce système permet au débutant de jouer très rapidement sans étudier pendant des heures les signes des partitions souvent rébarbatives. Pour composer, le solfège n'est pas indispensable : personnellement, je prends ma guitare et joue au gré de mon inspiration, j'enregistre le morceau, puis je le transcris en tablatures. Celui qui pense que le solfège est obligatoire pour créer est à côté de la question...! La preuve est simple: la musique exista bien avant toute forme d'écriture. A quoi servent les partitions ? A transmettre une oeuvre, à communiquer avec d'autres musiciens mais certainement pas à élaborer une mélodie. Le magnétophone est un outil sans doute plus utile.

Quelle que soit la méthode choisie, tablature ou solfège, le débutant ne doit pas s'y enfermer. Le gros défaut de l'écriture c'est d'inciter le loueur à une certaine facilité: il lui suffit de retenir et d'exécuter. Aujourd'hui nous avons la chance de posséder le disque, il faut en profiter. Je conseille souvent à mes élèves de travailler au déchiffrage d'un morceau uniquement par l'écoute. Ils sont ainsi obligés d'assimiler certaines lois et techniques par eux-mêmes. Résultat: ils deviennent logiques, et c'est un peu le mot-clé de l'enseignement. Apprendre des accords ce n'est pas très drôle... Mais comprendre pourquoi il existe des majeurs, des mineurs, des septièmes diminuées, etc., cela devient plus intéressant. Il faut annoncer la règle, donner quelques exemples et y revenir très souvent même si l'élève semble avoir compris. Seul, le joueur retrouvera des accords non par la mémoire mais par la réflexion logique. L'erreur, à mon avis, de beaucoup de méthodes parues actuellement sur le marché, c'est qu'elles ne peuvent pas être assimilées par un élève sans professeur, tout comme les livres scolaires. il y a toujours un théorème non démontré. C'est en pensant à tout cela, et à mes difficultés quand j'ai débuté que j'ai écrit ces méthodes, dont une pour débutant qui ne connaît rien à la guitare, suivie d'une seconde bien plus approfondie, s'enchaînant à la première et évidemment en tablatures... Seulement attention ce n'est pas une liqueur miraculeuse; si l'élève ne l'ouvre qu'une fois par an il n'a rien à attendre de ce type d'enseignement.

SONO : Vous avez publié, aussi, un recueil des plus fameux titres des Beatles, transcrits en tablatures.

M. DADI: Les Beatles m'ont beaucoup influencé lorsque j'étais plus jeune. J'ai pensé qu'il serait intéressant de jouer en picking leurs plus beaux morceaux: cela aidera ceux toujours conquis par cette musique. ll y a un résultat dont le suis fier: L'été sur les plages, très souvent des jeunes gens grattent la guitare. Il y a quelques années, ces personnes relevaient plusieurs accords de mémoire et jouaient un accompagnement en sifflotant la mélodie. Devant les passants et les amis, ces joueurs en herbe étaient intimement convaincus de leur talent. Aujourd'hui sur ces mêmes plages, d'autres jeunes louent « Michelle », « Ob-la-diOb-la-da », « Get Back »des Beatles en picking. Plus besoin de siffloter la mélodie, tout est sur les cordes... et cette fois il s'agit bien de guitaristes dans le sens noble du terme. Je pense avoir participé un peu à cette transformation et ça me rassure beaucoup sur l'avenir de l'instrument.Dans le même ordre d'idée un recueil consacré à Simon et Garfunkel est en cours d'impression. J'ai beaucoup travaillé à cette étude car il s'agit cette fois de louer simultanément la basse, et deux voix représentant parfois deux mélodies différentes. J'ai été obligé, pour quelques titres, d'accorder ma guitare sur la technique de « l'open tunning »de façon à garder des basses justes tout en allant chercher la mélodie assez haut ce qui est impossible physiquement sur une guitare normalement accordée.

SONO: Revenons à une étape de votre carrière qui vous est chère : le rêve de Nashville... puis la rencontre avec Chet Atkins.

M. DADI : A partir de l'instant où l'ai découvert les disques de Chet et de ses musiciens fabuleux, j'ai voulu partir à Nashville et découvrir cet univers. Malgré cela, mon premier disque fut enregistré en France et je ne le regrette pas, pour la suite des événements. En effet, la maison d'édition, à la sortie d'un nouvel album, envoie un peu partout à l'étranger quelques exemplaires et les compagnies hors frontière rendent la pareille avec leurs productions locales. C'est un échange tout à fait classique. C'est ainsi que mon disque traversa l'Atlantique. Aux Etats-Unis, l'éditeur écouta quelques passages et fit immédiatement l'analogie de style entre Marcel Dadi et son ami Chet Atkins. En examinant la pochette il découvrit que le connaissais Chet, grâce à une composition personnelle que le lui avais dédiée: «Song for Chet». Il décida alors de rendre visite à l'intéressé et il lui remit mon disque. Chet l'écouta et parut très surpris d'abord, car il pensait vraiment que les Français étaient irrécupérables... puis il trouva la musique très à son goût et promit de ne pas oublier mon nom. Les mois passèrent, l'enregistrais déjà mon second album, quand, un soir en rentrant chez moi, toute la famille affichait la tête des grands jours, en m'annonçant qu'un personnage très important voulait me voir. Après avoir énoncé des noms extravagants au jeu des devinettes, on me dit qu'il s'agissait de Chet. Il effectuait une série de concerts en Europe et avait décidé de modifier son itinéraire pour me rencontrer. Pour moi ce fut vraiment le plus beau témoignage dé sympathie et depuis nous entretenons une correspondance amicale et technique très suivie.

Mon premier contact avec les Etats Unis n'avait pas pour but officiel la visite de Nashville, mais plutôt celle du salon de la musique implanté à Chicago. Je me dépêchais de terminer cette exposition pour enfin réaliser mon rêve. A vrai dire la première soirée passée dans la patrie du country ne .traduisit pas l'émerveillement. Les clubs de ,« Broadway Avenue» où la bière en boîte coule à flot sur les tables autour desquelles sont rassemblés des paysans un peu saouls et des musiciens d'un niveau douteux, ne reflétaient pas l'univers de la musique... Le lendemain, heureusement, tout s'arrangea... un coup de téléphone et me voici dans le bureau de travail de Chet Atkins... Nous parlâmes beaucoup et chaque entretien se terminait toujours avec une guitare. Il prit sur lui de câbler à un ami: Georges Morgan, une des stars de la ville, afin de lui demander de me réserver une place dans son show du samedi soir au Grand Olé Opry Spectacle, retransmis par radio W.S.M.

Je tremblais de trac car il y avait 6 000 spectateurs venus de tous les coins des U.S.A. en autocars. L'Opry est une vaste entreprise commerciale où le spectacle est morcelé par des flashs publicitaires radiophoniques. De plus sur scène on ne se retrouve pas seul. Derrière se trouvent les musiciens, les producteurs et les chanteurs attendant leur tour. Participait à ce show Kenny Price qui me présenta au public et me confia sa guitare, une Tama. Tout se déroula parfaitement mais j'en tremble encore...

Avant de repartir pour Paris, le contactais Buddy Spicher, violoniste que l'avais rencontré lors du show d'Eddy Mitchel et nous décidâmes d'enregistrer une bande témoin afin qu'il puisse dégrossir les arrangements, et les grilles d'accords avec les autres musiciens en vue d'un éventuel projet Je suis rentré et me suis mis en devoir de convaincre ma maison de disques de m'autoriser à aller enregistrer là bas. Tentative difficile car évidemment le budget était encore assez important. Mais le récit de mes aventures, une foi profonde dans les musiciens constituèrent des armes redoutables... et j'obtins l'accord tant désiré. Quelques préparatifs et le premier avion me déposa une nouvelle fois dans ma seconde patrie Buddy Spicher m'attendait et me relata l'énorme travail accompli en mon absence. Après quelques mises au point techniques, nous nous retrouvions au Quadrafonic studio, où enregistrent Neil Young, Joan Baez, et bien d'autres.

SONO: Y-a-t-il des différences fondamentales entre' un studio à Nashville et un autre à Paris?

M. DADI :Absolument pas; à la limite le studio Quadrafonic est plus petit que ses homologues français. Côté installation technique, le matériel serait plutôt moins sophistiqué. L'agencement général n'est donc pour rien dans le son «Nashville». La réputation est davantage fixée sur les méthodes de travail. Je ne dus pas m'entretenir plus de cinq minutes avec l'ingénieur du son, il comprit immédiatement le style, et il connaissait parfaitement les musiciens en place, sans compter que son matériel n'avait vraiment plus aucun secret pour lui. A l'enregistrement proprement dit, seule la batterie était isolée complètement; la contrebasse vaguement écartée faisait tout de même partie intégrante du studio. Les techniciens n'employaient que des micros très directifs, chose assez rare en France. La prise de son ne fut pas découpée. Tout a été enregistré d'un seul tenant. Si l'on constatait une erreur, tout le monde recommençait. J'ai pu observer le même phénomène lors d'une séance à laquelle Je ne participais pas directement. La chanteuse présente interpréta tous ses titres avec l'orchestre donc, en une seule prise Cette technicité est certainement à l'origine du son particulier que l'on ne retrouve qu'à Nashville.

A l'écoute des disques de Marcel Dadi, l'on constate effectivement une qualité acoustique et artistique digne des meilleurs enregistrements actuels. Les musiciens y sont pour beaucoup, c'est certain. L'expérience des techniciens aussi, sans nul doute. Mais la virtuosité de ce guitariste se place tout de même en tête de la perfection finale. Une preuve? c'est simple: écoutez un titre enregistré dans des conditions particulièrement difficiles puisque réalisé en public lors de la représentation de Marcel à l'Olympia: Lady Madona, emprunté aux Beatles: les pirouettes techniques sont si spectaculaires que nous, auditeurs, tremblons pour lui quand il effleure ainsi les limites du possible. Lorsque Marcel Dadi se produit sur scène il ne demande qu'une chose: «Je désire retrouver exactement la sonorité de mon instrument avec autant de précision que sur le disque, c'est-à-dire une guitare fine et claire, sachant être agressive quand il le faut. »

Dans le prochain numéro, nous nous consacrerons exclusivement à la sono de Dadi sur scène en demandant aux intéressés: le preneur de son et le concepteur du matériel, quels sont les moyens techniques mis en oeuvre.

D.WERBROUCK

Dans notre précédent numéro, nous nous sommes intéressés aux guitares, aux techniques du jeu de cet instrument, aux méthodes d'enseignement à base des tablatures et à l'histoire des disques de Marcel Dadi; aujourd'hui, dans ce second et dernier volet, toujours au travers de l'expérience de ce musicien, nous allons examiner les divers problèmes rencontrés lors des représentations en public, au niveau de la sonorisation: Puissance, qualité, retours etc. Et ce, en tenant compte bien entendu, des exigences de l'intéressé, puis en consultant le fabricant du matériel et enfin, en interrogeant le sonorisateur de Marcel Dadi.

SONO: Lorsque vous êtes sur scène, devant un nombre impressionnant d'auditeurs avertis, comment concevez-vous l'organisation générale de votre concert?

M.DADI D'abord, une règle simple : les gens qui assistent à mes représentations me connaissent: donc ils possèdent au moins un de mes disques où ils ont apprécié le style du jeu, et aussi la sonorité particulière du mixage. Ils désirent retrouver la totalité sur scène, rien de plus naturel. Pour moi, ce n'est pas un gros problème artistiquement, car je me sens davantage en forme devant le public, grâce à la chaleur du contact établi entre lui et tous les musiciens. En studio, la concentration est plus importante et plus délicate puisque ce lien n'existe pas d'où la nécessité d'un travail plus intense. Paradoxalement, côté technique c'est une constatation inverse. Un studio d'enregistrement est parfaitement traité et amorti, ce qui évite les résonances et réverbérations parasites. La cabine technique est séparée physiquement du studio par des parois vitrées; l'ingénieur peut donc écouter à fort niveau sans risquer l'accrochage. Chaque musicien possède un casque où il dose à sa guise les diverses sources, lui permettant de jouer correctement en rythme et de contrôler ainsi son propre tempo. La console, les écoutes, sont de qualités remarquables et ne pardonnent aucun défaut, il faut signaler aussi qu'une séance n'est qu'une suite de répétitions jusqu'à l'obtention de « la » bonne prise qui sera conservée. Sur scène, il faut jouer «en direct», pas question de s'arrêter, évidemment, et de compter jusqu'à quatre pour reprendre en mesure ! ... Mais là encore ce n'est pas vraiment un problème, heureusement, grâce au talent des musiciens. La grosse difficulté est de reproduire le même son qu'en studio: obtenir des basses pures et sèches, des médiums qui n'agressent pas les oreilles comme dans la plupart des spectacles, où, la puissance aidant, une sorte de saturation apparaît et oblige pratiquement l'auditeur à orienter la tête dans une position moins sensible. Mais c'est dans la qualité de diffusion des aigus que se place ma première exigence: une guitare sèche possède des résonances harmoniques bien connues. L'attaque des cordes ne peut non plus passer inaperçue. Seulement il n'est pas question d'entendre souffler les tweeters quand les musiciens cessent de jouer ! Voilà pourquoi j'ai voulu un matériel au-dessus de la moyenne pratiquée couramment, aussi bien au niveau des micros et de la console qu'à celui des amplificateurs de puissance et des baffles. Peu de constructeurs rassemblent tous les maillons de la chaîne et encore moins déplacent une équipe de techniciens pour le cas particulier que je représente.

Grâce à plusieurs consultations entre Philippe DHUY, le sonorisateur de mon spectacle, Claude ROUBIN ingénieur à la société Comel qui fabrique et représente le matériel que j'emploie et moi-même, nous sommes parvenus, je pense au but fixé: amplifier correctement les sonorités des divers instruments acoustiques et électriques utilisés dans ce type de concert.

L'avis du constructeur:

SONO: La relative importance du nombre des musiciens, l'exigence acoustique de Marcel DADI. des salles de spectacles qui ne se prêtent pas toujours au style artistique recherché, somme toute, une cascade de problèmes délicats apparemment résolus. En qualité de concepteur, donc d'électronicien, à quel niveau votre participation est-elle active?

C. ROUBIN : L'objectif primordial est d'obtenir une reproduction de la guitare sèche d'une fidélité absolue et ceci à forte puissance. A partir de cet axiome, il suffit de raisonner afin d'aboutir à ces deux conditions: Premièrement garder une linéarité totale de la bande passante sur toute la chaîne amplificatrice, c'est-à-dire ne pas favoriser telle ou telle portion du spectre amenant irrémédiablement une déformation du son à l'échelon de sa « couleur » et non pas de sa qualité. Le second point est. La suite logique du premier: éliminer ou à défaut atténuer un maximum les résonances parasites de la salle de spectacle. - En effet, utiliser l'ensemble micro - console - ampli - baffle « droit » dans un lieu partiellement amorti semble presque inutile. D'autre part, il est impossible de figer les corrections car Marcel ne joue pas toujours au même endroit..., pour ces raisons, nous adoptons la solution de l'égaliseur graphique, très souple de manipulation dans cette configuration. La conséquence directe de ces mesures oblige le Larsen à reculer, puisque aucune fréquence ne devient prépondérante. C'est un moyen astucieux de bénéficier complètement du potentiel acoustique disponible.

Dans les structures même de la sonorisation de Marcel le tour est joué; reste à trouver le matériel correspondant, quitte à en modifier tout ou une partie. A l'échelon de la console, j'ai conseillé l'emploi du modèle tout récent PMI 616 Musique Industrie. C'est un pupitre étudié pour la sonorisation de part la disposition des commandes, l'accès rapide aux entrées sorties, mais élaboré électroniquement comme une console de studio, c'est-à-dire sans impasse dans les caractéristiques de bande passante, de bruit de fond etc. Elle est constituée de 16 voies d'entrée identiques dont chacune est définie comme suit: un sélecteur de fonction aiguille deux types de modulations vers l'entrée : micro (bas niveau et symétrique) ou ligne (haut niveau et asymétrique). De là, le commutateur de sensibilité ajuste au mieux la tension par bonds de 10 dB. Le signal est maintenant assimilable sur le réseau de corrections, combinant un réglage classique à 100Hz et 10 kHz (Baxandall) et un égaliseur à deux groupes fondamentaux d'inflexion (bas médium et haut médium) chacun subdivisé en quatre parties, à savoir 300 Hz, 450 Hz, 600 Hz, et 850Hz pour le bas médium et 1,2 kHz, 1,7kHz, 2,4kHz et 3,4 kHz pour le haut médium. L'efficacité est de plus ou moins 15 dB sûr chaque groupe et réglable par potentiomètre. En sortie de correcteur un témoin d'Overload indique les surcharges instantanées possibles sur les étages d'entrée. La modulation est ensuite dirigée vers les différentes barres de mélange. Deux départs auxiliaires sont accessibles indépendamment du gain général de la voie, un départ «effets » reste aussi autonome et enfin le fader (course 100 mm) aiguille le signal « direct » vers les 4 généraux de sortie au moyen de deux potentiomètres panoramiques. Un poussoir « pré-écoute » autorise toujours la possibilité d'isoler une voie, au casque, sans gène pour le mixage en cours. Deux circuits « retour effets » indépendants, équipés de correcteurs graves et aigus évitent ainsi le blocage de deux unités d'entrée du pupitre. Sans pénétrer en détail dans la technologie de construction, notons simplement l'emploi de composants modernes et un câblage rationnel, permettant d'obtenir des caractéristiques de temps de montée et de bruit de fond, tout à fait comparables à ses consoeurs de studio.

Autour de ce centre nerveux sont raccordés les amplificateurs de puissance. Un seul et unique modèle est employé: le PA 2000 Musique Industrie deux fois 200 watts efficaces, car l'ensemble de ses performances le rend pratiquement universel. En somme, le potentiel de puissance disponible pour la chaîne de diffusion principale est de 1 400 W, autorisant ainsi une réserve confortable et indispensable pour le rendu de la dynamique. Un maillon conséquent: les baffles. ils sont disposés symétriquement de chaque côté de la scène. La guitare de Marcel Dadi amplifiée séparément attaque 2 ensembles HECA il constitués d'une enceinte à pavillon exponentiel pour les basses, BIAX 250,1, d'un bloc médium HF 3521, et d'un groupe de 6 tweeters piezo électriques HORN 625 pour la reproduction de l'extrême aigu, donc des transitoires. La même installation est adoptée par la section rythmique. La guitare basse aboutit sur 2 baffles H 450 et enfin deux ensembles AM7 assument la sonorisation des instruments à cordes autres que la guitare (violon, mandoline, banjo).

Reste encore un point délicat pour boucler le réseau de diffusion : le retour des musiciens. Là encore Marcel Dadi est intransigeant, car il désire la même qualité sonore que dans la salle sans aucune impasse. Nous lui installons deux enceintes CMX excitées chacune par 200 watts! Les autres musiciens bénéficient de 4 baffles auto-amplifiés AM7 auxquels nous ajoutons également des unités d'extrême aigu. Une maintenance régulière et soignée est effectuée sur l'ensemble de cette sono qui tourne beaucoup et pas toujours dans de bonnes conditions.

L'avis du sonorisateur de Marcel DADI

SONO: Le constructeur semble insister sur la linéarité de la bande passante et étudie avec soin la diffusion extrême aigu. Ressentez-vous cet effet au niveau du mixage?

P. DHUY: Bien évidemment. Il ne faut pas oublier que dans les concerts de Marcel il n'est pas question de faire du bruit dans la salle mais d'amplifier les instruments sans en changer les sonorités. Il s'agit davantage de se pencher sur la fidélité que sur la puissance. Le premier point important, pour moi, est de capter sans faille le son de la guitare ADAMAS de Marcel.

Une seule et unique possibilité s'offre: l'emploi d'un bon microphone électrostatique. J'ai hésité entre le NEUMANN KM 84 et l'AKG 451 C, c'est ce dernier qui l'emporte pour une raison pratique d'alimentation. Sur la console un égaliseur Power TPK 409 C permet une légère modification de la bande passante en fonction de la courbe de réponse de la guitare ADAMAS très riche en harmoniques dues aux vibrations de la table en graphite. Le son obtenu parcourt une gamme s'étendant de 20Hz à 27kHz et cette étendue du spectre offre des résultats spectaculaires dans la reproduction fidèle des plus hautes harmoniques de la guitare sèche et ce, en gardant une dynamique saisissante dans le rendu des attaques des notes. En outre, j'obtiens une augmentation très substantielle de l'impression subjective quant à la puissance sonore et la répartition dans l'espace des instruments. Quatre ensembles de ce type sont utilisés en diffusion principale. En représentation, ils ne travaillent en moyenne qu'au dixième de leur rendement maximum, une importante réserve étant indispensable toujours pour le rendu de la dynamique. Ce second point important de la répartition spatiale est résolu en affectant logiquement des groupes d'instruments sur des unités de diffusion différentes. J'arrive à la combinaison suivante: hormis la chaîne bien distincte de Marcel DADI, j'utilise deux baffles HECA ll pour la section rythmique normale, c'est-à-dire batterie, guitare électrique, piano. La guitare basse possède à elle seule une sono à part. Elle entre directement dans une voie de la PMI 616 et sort sans transiter par les généraux, directement en sortie de la tranche. L'isolement est complet et transmis vers deux enceintes H 450. J'évite ainsi une éventuelle inter modulation sur le reste de l'instrumentation. Enfin les autres cordes comme le violon, la mandoline, le dobro et la pédale-steel sont également amplifiés séparément sur deux AM7.

Les surcharges harmonique des haut-parleurs sont ainsi éliminées et j'obtiens ce fameux effet de relief et d'espace très agréable. Le dernier critère qui m'importe est celui du choix des micros, et des correcteurs disponibles sur le pupitre. En plus de la guitare de Marcel, le dobro est pris par un statique AKG 451 C. Le piano est repiqué par un capteur piezo électrique BARCUS EBRRY du type ARTISTE 2000. La guitare électrique, la basse, la pédale-steel. l'Adamas électrique sont reprises en direct sur les amplis locaux. Le violon, la mandoline et le banjo sont munis de petits capteurs FRAP avec préampli et sonorisés également en prise directe. Côté batterie, je place un micro AKG 120 en face de la grosse caisse, un AKG 1200 sur la caisse claire et un AKG C 190 au dessus des cymbales. Toutes ces sources sont raccordées sur la console et, grâce aux potentiomètres panoramiques je redistribue vers les quatre généraux chaque section instrumentale.

Une des fonctions les plus utilisées sur ce pupitre est, sans nul doute, le pseudo égaliseur graphique constitué des correcteurs grave, bas médium, haut médium, aigu. La souplesse et le nombre de points d'inflexion permettent toutes les fantaisies de sonorité.., c'est appréciable surtout quand l'artiste à l'oreille difficile!

Trois points remarquables quant à l'élaboration de cette sonorisation : Aucun son n'est volontairement déformé ou décoré. On ne trouve même pas une chambre de réverbération ou d'écho magnétique, encore moins de filtre automatique anti-larsen, pas davantage de boîte à distorsion et autre phasing... Ce n'est pas là un atout exclusif de qualité artistique, mais une recherche évidente du son original; c'est déjà plus rare;

- techniquement les instruments sont groupés par « affinités spectrales» ainsi on ne retrouve pas la mandoline dans l'enceinte de la guitare basse. Cela est important car la dynamique de ces deux instruments est très différente, les transistoires incomparables, et l'intermodulation est un phénomène électronique et acoustique ennuyeux. A priori, la logique demande la séparation de chaque instrument. Dans cette sono, c'est pratiquement cet objectif qui est visé: seconde initiative heureuse;

- enfin, le retour des musiciens n'est pas le parent pauvre dans cette affaire. Marcel DADI s'entend correctement et cela ne peut que l'aider à jouer en complète décontraction avec ses musiciens:

En fin de compte, c'est le public qui s'y retrouve: un son pareil au disque et un artiste égal à lui-même; c'est bien ce qu'il attendait.

D WERBROUCK